Rachida Dati porte-parole de la politique sécuritaire de Macron au Parlement européen

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Alors que le vote sur le règlement de censure terroriste aura lieu le 21 mars (voir notre site de campagne), Rachida Dati a adressé à l’ensemble des députés européens en charge du texte, une lettre dans laquelle elle soutient la position la plus sécuritaire du Parlement européen. Nommée cheffe de file sur ce dossier par le groupe politique de droite (le Parti populaire européen – PPE, le plus important du Parlement), elle y défend les intérêts politiques d’Emmanuel Macron, en faveur d’un contournement de la justice et d’un assujettissement du Web européen à Google et Facebook.

Le 27 février dernier, Rachida Dati envoyait à l’ensemble des 60 députés de la commission LIBE (« liberté civile », qui votera le texte le 21 mars) une lettre les invitant à adopter le règlement dans sa version la plus sécuritaire possible (voir la lettre (PDF)). Refusant tout débat objectif, Mme Dati se moque que ce texte soit inutile, qu’il méprise la séparation des pouvoirs en permettant des censures massives sans juge, qu’il détruise nos libertés sur Internet ou qu’il annihile l’écosystème numérique européen. Elle semble ne chercher qu’un symbole politique facile pour ses prochaines élections : se positionner en tant que héraut de la lutte contre le terrorisme.

Le mythe de l’auto-radicalisation

D’entrée de jeu, elle fait sienne la rhétorique trompeuse de la Commission européenne, arguant que le règlement de censure terroriste « est un outil crucial pour renforcer la lutte contre le terrorisme et la radicalisation en Europe ». Comme la Commission, elle refuse tout débat basé sur des faits, préférant fonder son action politique sur les sentiments de crainte et d’urgence. Si Rachida Dati acceptait de s’en tenir aux faits, sa conclusion serait pourtant bien différente : en 2017, l’UNESCO publiait un rapport analysant 550 études sur la question de la radicalisation en ligne et concluant que « les données sont insuffisantes pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un lien de cause à effet entre la propagande extrémiste ou le recrutement sur les réseaux sociaux et la radicalisation violente des jeunes ». En face, ni Rachida Dati, ni la Commission européenne, ne sont capables de produire des études soutenant leurs théories.

Cette situation n’est pas nouvelle. Comme elle le rappelle dans sa lettre, Rachida Dati a été, en 2015, la rapporteure d’une « résolution du Parlement européen sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens de l’Union par des organisations terroristes ». Cette résolution souffrait des mêmes défauts, affirmant déjà au doigt mouillé, sans aucune évaluation concrète ni chiffrée, que « l’internet et les réseaux sociaux constituent des plateformes importantes utilisées pour accélérer la radicalisation et le fondamentalisme, car ils permettent une diffusion massive et rapide, à l’échelle mondiale, des messages de haine et d’apologie du terrorisme » (nous le dénoncions déjà alors).

Plus grave encore, cette résolution parlementaire de 2015 « exprime ses vives inquiétudes face à l’utilisation croissante des techniques de cryptage par les organisations terroristes qui rendent impossibles la détection et la lecture de leurs communications ». Invoquer le prétexte terroriste pour lutter contre le chiffrement de nos communications est malheureusement devenu un lieu commun. Heureusement, Rachida Dati nous fait grâce de ce serpent de mer dans les débats actuels.

Dans tous les cas, il devient ainsi difficile de dire aujourd’hui qui d’Emmanuel Macron ou de Rachida Dati reprend la politique de l’autre. L’approche sécuritaire, prise par Nicolas Sarkozy lorsque Madame Dati faisait parti de son gouvernement, n’est en rien différente de celle d’Emmanuel Macron. Tous reposent sur la mise en avant de solutions simplistes, ignorant les faits ainsi que leurs conséquences concrètes, espérant que leur électorat soit plus sensible à la peur qu’à la raison.

Destruction de l’écosystème numérique européen

Dans la lettre envoyée à ses 60 collègues de la commission LIBE, Rachida Dati « appelle le Parlement à soutenir le délai d’une heure pour exécuter les injonctions de retrait ». Face aux réalités d’une telle obligation, Madame Dati feint d’avoir « entendu et compris les préoccupations de différents acteurs, notamment des PME ». En vérité, elle en méprise totalement les intérêts.

Aucune petite ou moyenne plateforme ne peut supprimer en une heure un contenu signalé comme terroriste par la police (pour la simple raison, déjà, que répondre à cette demande la nuit ou le weekend n’est possible que pour les entreprises les plus importantes). Madame Dati ne propose aucune marge d’ajustement pour ces plateformes, faisant primer ce délai magique d’une heure sur toute autre considération.

L’écosystème numérique européen n’a qu’à disparaître, soumis à des obligations intenables sous la menace de lourdes sanctions. Ceci n’affectera en rien la stratégie électoraliste de Rachida Dati qui, manifestement, pense qu’une position aussi symbolique qu’absurde contre le terrorisme l’aidera à gagner la mairie de Paris (pour laquelle elle vient d’annoncer se présenter).

Surtout, cet acharnement symbolique est parfaitement vain : l’extrême majorité des plateformes en ligne font déjà de leur mieux pour supprimer les contenus terroristes, qu’ils soient ou non signalés par la police. Aucune plateforme n’a d’intérêt à héberger de tels contenus, si ce n’est à vouloir effectivement participer à leur diffusion. Contre des plateformes qui souhaiteraient cela, le règlement de censure terroriste ne prévoit rien, car aucune loi ne peut rien faire contre : ces plateformes pourront toujours s’installer n’importe où pour échapper à la loi (elles le font déjà) et seront toujours accessibles par leur public.

Renforcer la dépendance à Google et Facebook

Rachida Dati affirme auprès de ses collègues que « ces dernières années ont prouvé qu’avec le développement technologique les grandes plateformes telles que Google, Facebook et Twitter ont atteint de bons résultats » en matière de censure des contenus terroristes. Un tel éloge des GAFAM, qui ne se base toujours pas sur une analyse chiffrée, fait directement écho à la façon dont Mounir Mahjoubi promeut Facebook en héros de la modération contre la haine sur Internet (voir notre analyse). À chaque fois dans le même but : conforter la position dominante des géants du Web qui sont devenus les alliées de gouvernements souhaitant toujours plus surveiller et contrôler la population.

Encore une fois, les acteurs qui offrent des modèles alternatifs, plus respectueux de notre vie privée et de notre liberté d’expression (revoir notre article à leur sujet), sont appelés à disparaître ou, au mieux, à se placer sous la dépendance de ces géants. Rachida Dati reprend ainsi la rhétorique de la Commission européenne, en « soutenant fortement la proposition sur les mesures proactives » que les plateformes devront obligatoirement déployer pour détecter et supprimer les contenus terroristes.

La Commission européenne explique ainsi, au côté du ministère de l’intérieur français, que les outils de filtrage développés par Facebook, Google, Twitter et Microsoft depuis 2015 pour leur plateformes doivent maintenant être utilisés par l’ensemble des acteurs du Web (lire notre analyse sur la genèse du règlement). La zone d’influence des GAFAM continue de s’étendre, avec le soutien total des gouvernements européens et, ici, de Madame Dati.

Une démarche purement électoraliste

Rachida Dati ne cache pas le sens de son engagement : « Nous devons voter ce rapport avant la fin du mandat. Tout délai à son adoption serait non seulement une sérieuse erreur politique, mais aussi un affront aux citoyens qui demandent à l’Union européenne de les protéger ».

Puisque ce règlement n’apportera aucune protection, c’est uniquement la peur des citoyens qui l’intéresse. On comprend alors très bien pourquoi ce serait une « sérieuse erreur politique » de ne pas en jouer, alors qu’elle ne compte pas se représenter au Parlement européen, mais qu’elle doit justifier, dans l’urgence, son mandat européen assez creux, afin de poursuivre sa carrière politique française.

C’est pourtant la démarche inverse que doit adopter le Parlement européen : forcé de débattre d’un texte aux conséquences aussi lourdes en seulement quelques semaines, il ne pourra prendre que les pires solutions. Aucun débat législatif ne doit être conduit dans l’urgence électoraliste. Certes, les craintes que la composition du prochain Parlement européen soit encore plus à droite et proche d’Emmanuel Macron ne sont pas à prendre à la légère. Mais, contre toute projection politicienne, nous préférons la sagesse des débats longs, précis et rigoureux.

Pour repousser la censure automatisée, le contournement du juge et la GAFAMisation du Web, appelons les députés européens avant le 21 mars via notre site d’action.

Les citations de la lettre de Rachida Dati sont des traductions de notre part, de l’anglais vers le français.