Lettre aux députés européens : rejetez la censure de masse

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Hier, La Quadrature du Net a envoyé aux 751 députés européens la lettre traduite ci-dessous.

Nous les appelons à rejeter le règlement de censure terroriste qui, en plus d’être inutile, ouvrira les portes de la censure de masse, conduisant vers la censure politique et la destruction de l’Internet pour lequel nous nous battons. Dans la perspective où le texte ne serait pas entièrement rejeté, nous les appelons à corriger au moins ses pires parties.

Après l’adoption par la commission LIBE de son rapport lundi dernier (lire notre réaction), le règlement sera voté en première lecture par l’ensemble des députés européens ce 17 avril à 17h (voir le projet de calendrier).

Si le Parlement devait adopter le texte, le débat se poursuivrait probablement dans les quelques mois après les élections européennes : le Conseil de l’UE (qui rassemble les gouvernements de tous les États membres) et le Parlement européen devraient chercher un compromis entre le texte adopté par chacun d’eux en première lecture (lire notre réaction au texte adopté par le Conseil en décembre dernier).

Avant cela, rejoignez-nous et contactez les députés européens via notre page de campagne ! (la page existe aussi en allemand et en anglais) La grande majorité des députés n’ont encore jamais vraiment entendu parler de ce texte : chacune de nos voix sera décisive pour façonner leur opinion et les alerter.

Censure Terroriste : rejetez la censure de masse

Chers députés européens,

La semaine prochaine, vous voterez le règlement « relatif à la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste ». Ce texte est sur le point d’ouvrir les portes de la censure de masse et sans contrôle, qui conduira (et a déjà conduit) à la censure politique et à la destruction de l’écosystème numérique européen, au profit de Google et Facebook.

Ce règlement n’aidera pas à lutter contre la propagande terroriste : les personnes qui défendent des idéologies meurtrières se réunissent sur des plateformes qui comptent déjà violer et contourner nos lois et qui ne se soumettront jamais aux demandes de retrait. Lorsque leur propagande atteint les autres plateformes, les solutions techniques pour empêcher leur mise en ligne et leur propagation ont déjà démontré être un échec : même Facebook et Google n’ont pas pu arrêter la propagation sur leur plateforme de la vidéo de l’attaque de Christchurch.

Ce règlement ne mènera qu’à promouvoir des solutions techniques dangereuses et inutiles. Les idéologies meurtrières ne peuvent être combattues que par des changements structurels et sociétaux.

Pour l’ensemble de ces raisons, La Quadrature vous appelle à rejeter ce texte.

Dans la perspective où il ne pourrait pas être entièrement rejeté, trois choses devraient au minimum être faites avant le vote final.

1 – Supprimez le délai d’une heure pour retirer les contenus

Seuls les géants du Web ont les capacités humaines et techniques pour retirer « en une heure » des contenus qui leur seraient notifiés. Les plateformes non-lucratives et les petites et moyennes entreprises n’ont pas la capacité de répondre 24h/24 et 7j/7 à ces demandes (car elles n’ont pas de personnel travaillant tous les jours ni 24h/24), ni d’identifier et de retirer les contenus dans un délai si court.

La seule possibilité pour ces acteurs de ne pas se retrouver en violation systématique de ce règlement (et de risquer des lourdes amendes financières) sera de mettre fin à leurs activités ou de retirer tout contenu « problématique » à l’avance en utilisant les outils de filtrage automatique développés par Google et Facebook.

Ces outils mèneront au contournement du juge et à la censure politique. Ils donneront à Google et à Facebook d’immenses pouvoirs économiques, techniques et politiques sur l’écosystème numérique européen. Votre devoir est précisément de protéger cet écosystème contre de tels prédateurs.

La Quadrature du Net vous appelle à adopter tout amendement supprimant ce délai d’ « une heure ».

2 – Exigez que seul un juge puisse ordonner un retrait

La proposition de règlement autoriserait des autorités administratives à ordonner à toute plateforme du Web le retrait d’un contenu qu’elle considérerait comme « terroriste ».

La loi française autorise déjà ce type de mesures, ce qui a permis à la police française d’utiliser le prétexte du « terrorisme » pour censurer des contenus politiques qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme (les juges n’ont pu déclarer cette censure comme étant illégale que 1,5 an après l’ordre de retrait). De la même manière, durant ces dernières semaines, le site Internet Archive a listé 550 URLs qu’Europol et la police française lui ont faussement notifiés comme étant de la propagande terroriste.

C’est pourquoi de tels ordres de retrait ne devraient être émis que par un juge, et non aussi par une « autorité administrative fonctionnellement indépendante », comme cela est pourtant permis dans le rapport LIBE. Une telle définition permettrait à la police française, l’OCLCTIC, d’être désignée comme une telle autorité et de poursuivre ses demandes de censure illégales et non contrôlées.

La Quadrature du Net vous appelle à adopter tout amendement qui rendrait obligatoire la décision préalable d’un juge avant tout ordre de retrait.

3 – Respectez l’interdiction des outils automatisés votée par LIBE

Vos collègues de la Commission LIBE ont amendé avec sagesse l’article 6, en refusant que des autorités publiques puissent imposer à des plateformes l’usage d’outils de filtrage automatisé.

Ces outils informatiques, développés par Google et Facebook, ont prouvé leur inutilité face à une propagande humaine organisée, comme celle qui a eu lieu sur leurs plateformes lors de la diffusion de la vidéo de l’attaque de Christchurch. D’un autre côté, ces outils ont également démontré conduire systématiquement à une large censure de contenus parfaitement licites, et ont même nuit à des discours visant à lutter contre ces idéologies meurtrières.

Pour ces raisons, la Commission LIBE a également fait inscrire à l’article 9 l’obligation pour les plateformes de prévoir une vérification humaine avant le retrait de chaque contenu illicite.

La Quadrature du Net vous appelle à rejeter tout amendement qui supprimerait ces garanties nécessaires à nos droits fondamentaux, telles qu’adoptées par la Commission LIBE dans son rapport.