Politique culturelle en France : les lobbies font toujours leur loi

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Paris, 16 avril 2014 — Alors que le projet de loi sur la création n’a pas encore été présenté en Conseil des Ministres, Pascal Rogard, directeur général de la SACD (l’une des principales sociétés d’auteur en France), se vante d’avoir déjà pu avoir accès au texte. Ce comportement traduit l’emprise du lobby des industries culturelles sur le gouvernement et un déficit criant de transparence dans l’élaboration des textes touchant au droit d’auteur. Ce dérapage intervient alors que le CSA dans son rapport annuel pousse l’extension de ses pouvoirs de « régulation » à Internet, faisant craindre la mise en place d’une censure larvée, en connivence avec les intérêts des titulaires de droits. Les citoyens doivent réagir pour condamner cette confiscation de la politique culturelle par des intérêts privés et la complaisance du Ministère de la Culture à leur égard.

Pascal Rogard avait déjà affirmé être à l’origine du cœur répressif de la loi Hadopi, à savoir le mécanisme de riposte graduée assorti de la coupure de la connexion Internet des usagers. Alors que le futur projet de loi sur la création va vraisemblablement transférer cette compétence de la Hadopi au CSA, le directeur général de la SACD se vante à présent d’avoir pu lire ce texte, attestant par là que les lobbyistes des industries culturelles bénéficient d’un accès « à discrétion » aux textes de loi à venir.

Cette nouvelle illustration des relations incestueuses entre le gouvernement et certains milieux culturels intervient alors que s’est tenu, il y a deux semaines, le forum de Chaillot sur l’avenir de la Culture en Europe, organisé par le Ministère de la Culture. Ces deux journées ont constitué une tribune à sens unique ouverte aux titulaires de droits pour réclamer un durcissement drastique du droit d’auteur (un « copyright éternel » demandé par exemple par Jean-Michel Jarre, président de la CISAC) et la mise en place d’une « régulation d’Internet ». Or comme l’avait rélévé le Canard enchaîné dans son édition du 26 février 2014, ce forum a été financé en grande partie par les sociétés de gestion collective françaises : SACEM, SCAM et encore une fois la même SACD de Pascal Rogard, expliquant l’absence criante de débats contradictoires.

C’est dans ce climat que le CSA a fait connaître, par le biais de son rapport annuel, ses ambitions d’étendre ses pouvoirs au-delà de la télévision et de la radio à Internet, à travers la nouvelle catégorie très vague des « services audiovisuels numériques ». Une telle notion pourrait englober les plateformes de partage de vidéos comme YouTube ou Dailymotion, des services de streaming musical comme Deezer ou SoundCloud ou encore les magasins en ligne d’applications. Le CSA entend leur appliquer les pouvoirs de contrôle dont il dispose, au nom de la protection de l’enfance, de l’interdiction des atteintes à la dignité humaine ou des incitations à la haine et à la violence. Une telle extension des pouvoirs du CSA ouvrirait la porte à une censure administrative exercée sur les contenus en ligne, alors que des recours au juge sont déjà prévus par la loi en matière d’abus de la liberté d’expression. Malgré les dangers évidents d’une telle réforme, ces propositions ont immédiatement reçu le soutien de sociétés de gestion collective, comme la SCAM qui y voient le moyen de forcer les plateformes en ligne à participer au financement de la création et à déployer une police privée du droit d’auteur pour lutter contre le partage des œuvres.

Le projet de loi sur la création pourrait être présenté en Conseil des ministres au mois de juin, et les citoyens devront faire preuve de la plus grande vigilance quant à son contenu. À nouveau, La Quadrature du Net appelle le gouvernement de Manuel Valls à saisir l’opportunité du récent remaniement pour orienter sa politique en direction de la protection des droits et libertés des citoyens, notamment dans le domaine culturel.

« Le pouvoir politique et les représentants des industries culturelles ne prennent même plus la précaution de préserver au moins les apparences de la démocratie. Depuis la remise du rapport Lescure, la préparation de la loi sur l’acte II de l’exception culturelle s’est effectuée dans l’opacité et sous le contrôle des lobbies, sans prendre en compte les aspirations des citoyens à la préservation des libertés et à l’évolution du droit d’auteur. Ces procédés discréditent la démarche du gouvernement et ne pourront qu’être sanctionnés par les citoyens », conclut Lionel Maurel, co-fondateur de l’association La Quadrature du Net.

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