Charte sur la publicité en ligne : toujours plus de contournement de la justice au nom de la lutte contre le piratage

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Paris, le 24 mars 2015 — Le Ministère de la Culture a annoncé hier un plan d’action pour la lutte contre le piratage et la signature d’une Charte sur la publicité en ligne. Ce texte, négocié entre les annonceurs, les régies publicitaires et les titulaires de droits sous la houlette du gouvernement, confirme les craintes exprimées par La Quadrature du Net depuis plusieurs mois à propos de ce nouveau visage de la politique répressive en ligne. Il organise en effet un système dans lequel l’identification des « sites massivement contrefaisants » est déléguée aux acteurs de la publicité en contournant la justice, qui devrait être la seule habilitée à se prononcer sur cette qualification avec des garanties satisfaisantes en matière de respect de la liberté d’expression et du droit à l’information. Une telle approche marque une étape inquiétante dans l’institution d’une véritable police privée du droit d’auteur.

La Charte rendue publique hier s’appuie sur la notion floue de « sites contrevenant massivement au droit d’auteur », qui fait fortement penser à celle de « contrefaçon à échelle commerciale » qui figurait dans l’accord ACTA. Mais là où l’ACTA laissait encore aux juges le soin d’identifier les sites répondant à cette qualification, le texte présenté par le Ministère de la Culture abandonne cette opération aux publicitaires, qui agiront sous la pression des titulaires de droits.

La Charte précise en effet que les régies et annonceurs signataires pourront « établir une liste d’adresses url de sites internet en se référant aux informations fournies par les autorités compétentes, en utilisant éventuellement des outils technologiques, et en collaboration avec les ayants droit qui sont les seuls à avoir la connaissance des droits qui s’appliquent ». Pour dresser de telles listes noires, ces acteurs pourront s’appuyer sur des décisions judiciaires, mais aussi sur de simples signalements sur la plateforme Pharos du Ministère de l’Intérieur, ainsi que sur des informations transmises par des institutions comme la Hadopi ou des organismes professionnels représentant les industries culturelles.

Les signataires de la Charte s’engagent ensuite à ne pas afficher de publicités sur les sites ainsi identifiés, en s’appuyant sur les conditions contractuelles de mise à disposition de leurs services. Cette approche, dite « Follow The Money », aboutit en pratique à une éviction du juge et à l’instauration d’un système opaque, où des ententes entre acteurs privés pourront aboutir au placement de sites sur liste noire. Un simple « comité de suivi » est prévu pour encadrer ce dispositif, composé des représentants des professionnels de la publicité et des titulaires de droits, qui n’offrira aucune garantie sérieuse en matière de transparence et de respect des droits.

Au vu des termes de la Charte, chaque régie publicitaire sera en effet libre d’établir sa propre liste noire, sans être tenue de la révéler, et les travaux du comité de suivi feront l’objet d’un rapport annuel que le Ministère de la Culture pourra choisir ou non de publier.

La Quadrature du Net n’a jamais défendu les plateformes centralisées de streaming ou de direct download, dont les recettes publicitaires constituent effectivement des revenus illégitimes. Mais le dispositif de cette Charte marque un abandon inacceptable des garanties fondamentales et il est clair que l’objectif réel de ce plan est d’organiser la première étape d’un transfert de prérogatives judiciaires directement aux industries culturelles.

Cette dérive vers une application extra-judiciaire du droit d’auteur est d’autant plus inquiétante qu’elle est poussée par le gouvernement français au niveau européen et qu’on la retrouve par exemple dans le rapport Svoboda examiné en ce moment par le Parlement européen.

« La guerre au partage s’est enfermée elle-même dans une impasse, dont elle ne peut plus sortir sans porter atteinte toujours davantage aux règles essentielles de l’État de droit. Les citoyens ne doivent pas accepter que, comme le prévoit cette Charte sur la publicité, des sites soient placés sur une liste noire sans intervention de la justice », déclare Lionel Maurel, membre du Conseil d’Orientation Stratégique de La Quadrature du Net.