Neutralité du Net : La France fait le jeu des opérateurs télécoms

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Paris, 1er décembre 2014 — Sept mois après le vote historique du Parlement européen au sujet de la neutralité du Net, le Conseil de l’Union européenne pourrait bientôt enterrer ce principe. Alors que son inscription dans la loi française pourrait être débattue au cours des prochaines semaines, il est grand temps que le gouvernement sorte de l’ambiguïté et soutienne une défense sans compromis de la neutralité du Net auprès de ses partenaires européens. Or, à Bruxelles, les autorités françaises semblent alignées sur la position des opérateurs télécoms.

Procédure législative européenne
La procédure législative européenne

Le 27 novembre, près de sept mois après le vote historique de leurs prédécesseurs pour une vraie protection de la neutralité du Net, les eurodéputés élus en mai dernier ont adopté une résolution réaffirmant cette position1« Le Parlement européen, […] 11. invite instamment le Conseil à progresser rapidement et à ouvrir des négociations avec le Parlement sur la proposition de règlement établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté, étant donné que ce règlement permettrait concrètement de mettre un terme aux frais d’itinérance à l’intérieur de l’Union, d’apporter davantage de sécurité juridique en ce qui concerne la neutralité du net et de renforcer la protection des consommateurs au sein du marché unique numérique ; estime que ce règlement pourrait constituer une avancée cruciale vers la réalisation du marché unique mobile européen ; […] 14. souligne que l’ensemble du trafic internet doit être traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ; […] ».

Dans le même temps, le Conseil de l’Union européenne – qui en tant que co-législateur européen est désormais saisi de ce dossier législatif – a quant à lui repoussé sa prise de décision sur le sujet, faute d’accord sur le fond entre les États membres qui y siègent. Alors que la présidence italienne du Conseil semblait favorable à la neutralité du Net il y a quelques mois, sa proposition de texte récemment débattue cherche à détricoter les définitions protectrices de la Neutralité du Net adoptées par le Parlement. Elle supprime les garanties d’application effective des droits des citoyens, puisqu’elle permet une priorisation des « services spécialisés » conforme aux demandes des lobbies des télécoms, qui souhaitent pouvoir faire alliance avec les gros services en lignes (comme Google ou Netflix) en leur vendant un accès priorisé à leurs abonnés. Face aux divergences de positions au sein du Conseil, les États ont repoussé à plus tard tout accord sur le texte, laissant craindre un abandon pur et simple du futur règlement, et le maintien d’un dangereux statu quo.

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C’est dans ce contexte que Axelle Lemaire a annoncé2« La loi introduira un principe de neutralité des réseaux en droit français, avec une promotion des formats et standards ouverts et interopérables. » que le projet de loi « numérique », prévu pour le premier trimestre 2015, contiendrait un volet sur la neutralité du Net, alors que cette option semblait avoir été écartée3Par exemple dans cet interview ou face aux sénateurs.. Mais la position défendue par la France lors du vote au Parlement européen d’avril dernier et les récents débats au Conseil européen soulève de graves inquiétudes. De plus, l’apparition dans le discours de la Secrétaire d’État chargée du Numérique d’éléments de langage habituellement portés par les opérateurs4« Tout doit être fait pour affirmer le principe de neutralité du Net, tout en laissant de l’espace à l’innovation comme l’e-santé ou la TV très haute définition », Les Échos, 27 novembre 2014, laisse craindre que ce projet de loi soit davantage orienté vers la protection des intérêts des opérateurs plutôt que de ceux des citoyens.

À cet égard, les positions sur la neutralité du Net exprimées par le récent rapport du Conseil d’État sont également source d’inquiétudes : elles semblent elles aussi conforter les affirmations infondées des opérateurs selon lesquelles il serait nécessaire de porter atteinte à la neutralité pour encourager l’investissement.

« Il est plus que temps pour les pouvoirs publics français de clarifier leur position au sujet de la neutralité du Net, tant au niveau européen qu’au niveau national à l’approche du projet de loi annoncé sur le « numérique ». L’importante mobilisation citoyenne du printemps dernier et le vote historique des eurodéputés en faveur d’une vraie protection d’un Internet libre ne peuvent être balayées d’un revers de la main par le gouvernement français. En tant que ministres en charge du dossier, Axelle Lemaire et Emmanuel Macron doivent mettre fin aux atermoiements pour prendre clairement parti en faveur de la neutralité du Net, en se démarquant des dangereuses positions défendues par les grands opérateurs télécoms. » déclare Félix Tréguer, membre fondateur de La Quadrature du Net.

References

References
1 « Le Parlement européen, […] 11. invite instamment le Conseil à progresser rapidement et à ouvrir des négociations avec le Parlement sur la proposition de règlement établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté, étant donné que ce règlement permettrait concrètement de mettre un terme aux frais d’itinérance à l’intérieur de l’Union, d’apporter davantage de sécurité juridique en ce qui concerne la neutralité du net et de renforcer la protection des consommateurs au sein du marché unique numérique ; estime que ce règlement pourrait constituer une avancée cruciale vers la réalisation du marché unique mobile européen ; […] 14. souligne que l’ensemble du trafic internet doit être traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ; […] »
2 « La loi introduira un principe de neutralité des réseaux en droit français, avec une promotion des formats et standards ouverts et interopérables. »
3 Par exemple dans cet interview ou face aux sénateurs.
4 « Tout doit être fait pour affirmer le principe de neutralité du Net, tout en laissant de l’espace à l’innovation comme l’e-santé ou la TV très haute définition », Les Échos, 27 novembre 2014