La Quadrature publie sa réponse à la Commission Zelnik

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La Quadrature publie sa réponse au questionnaire de la mission Création & Internet, présidée par Patrick Zelnik1http://www.laquadrature.net/files/LQdN-reponsesmissioncreationetinternet-280909.pdf.

1) Comment répondre aux attentes des internautes en matière de développement de l’offre culturelle légale sur Internet (notamment musique, cinéma, livre et presse) ?

Nul ne peut avoir pour la prétention de parler pour les utilisateurs d’Internet dans leur ensemble, c’est à dire pour 60% de la population française. Nous pouvons cependant faire part à la mission de notre compréhension d’attentes qui se sont déjà exprimées par le rejet massif et constant de l’approche des lois HADOPI. La première réponse aux attentes des citoyens consiste à les écouter, et notamment à entendre leur refus de l’invocation des besoins de certaines offres légales très spécifiques pour refuser de créer ou de réaffirmer des droits pour les individus. Si l’on voulait résumer leurs attentes à l’égard des politiques publiques en matière d’offres, elle porte sur l’exigence d’offres équitables à l’égard de leurs droits. Dans ce qui nous semble leur majorité, les internautes ne s’opposent pas au financement de la création mais exigent que les bénéfices des pratiques actuellement réprimées soient reconnus, notamment celui à agir à travers le partage des fichiers pour assurer l’accès au public des œuvres les plus diverses. Le public donne vie aux œuvres des créateurs chaque jour. Ils ne néglige pas pour autant le besoin d’assurer les conditions de vie et de travail futur de ces créateurs. Pour ce qui est de l’enrichissement des offres, son message, tel que nous l’entendons, est « arrêtez de nous empêcher de contribuer à l’accès des créateurs au public, permettez­nous d’agir par le partage des œuvres comme contrepoids à la concentration de la promotion sur un petit nombre de titres ». Si ce message est entendu, les internautes seront les meilleurs alliés du financement de la création. S’il n’est pas entendu, les propositions à venir seront perçues comme une taxe au profit d’intérêt privés, une spoliation.

2) Dans les domaines qui vont concernent plus particulièrement, quelles que sont les contraintes et les problématiques émergentes en matière de diffusion sur Internet (notamment musique, cinéma, livre et presse) ?

L’usage sociétal d’Internet pour le partage des œuvres a été le lieu essentiel de l’innovation en matière d’accès aux créations culturelles dans les 15 dernières années (c’est à dire depuis le développement du Web). Ce mouvement a suivi un double cours :

  • Le partage volontaire des œuvres à l’initiative de leurs auteurs et autres contributeurs s’est développé à partir de la fin des années 1990, prolongeant et codifiant ce qui avait le succès du Web ouvert : permettre l’accessibilité générale et la liberté de copie des productions dans ce nouveau média. L’usage des licences Creative Commons ou de la Licence Art Libre couvre aujourd’hui une proportion très importante des photographies2Nous nous étonnons au passage de ne pas voir ce média au nombre de ceux listés dans la consultation, alors qu’il est de loi où les mutations numériques ont été le plus générales. Il y aurait beaucoup de leçons à tirer de son devenir, notamment sur l’inéluctabilité du remplacement de la séparation nette entre créateurs professionnels et usagers par un continuum de positions, où les positions extrêmes continuent à exister, mais s’accompagnent de toute une série de positions intermédiaires, indispensables à la création et conditions de son économie. numériques de qualité, des publications scientifiques en accès libre et des nouveaux médias propres à l’Internet, en particulier l’expression sur les blogs. Il s’est également répandu en ce qui concerne la musique (cf. des plateformes comme Dogmazic, Jamendo, ou les labels de la musique électronique) et l’image animée.
  • La partage de facto des œuvres par leurs usagers s’est développé d’abord au moyen de la simple mise en ligne puis de protocoles successifs facilitant la recherche d’œuvres pour ceux qui s’y intéressent (dans un modèle centralisé à l’origine avec Napster, puis dans des modèles plus authentiquement pair à pair avec des protocoles divers). Ce partage s’est développé d’abord dans un contexte d’incertitude juridique, penchant plutôt dans le sens d’un droit au partage hors marché d’œuvres acquises légalement jusqu’à l’adoption des transpositions continentales des traités de 1996 (DMCA aux Etats­Unis puis directive 2001/29/CE en Europe et ses transpositions nationales).

Deux leçons essentielles peuvent être tirées de ces expériences :

  • Le partage volontaire constitue le laboratoire des modèles économiques du futur, mais leur développement est freiné considérablement par la résistance des acteurs de la gestion collective. Ceux-­ci refusent toujours de disjoindre la gestion des droits numériques hors marché et celle des droits commerciaux. Or, cette disjonction est la condition de la synergie entre une diffusion libre non commerciale sur Internet et une gestion collective de droits porteuse de revenus pour les usages commerciaux (sur Internet ou sur d’autres médias).
  • Le partage de facto non autorisé a joué un rôle bien différent de sa caricature sous l’appellation de piratage. L’accumulation d’études indépendantes montrant qu’il ne joue pas un rôle direct dans les difficultés de certaines industries3 Nous entendons par là le fait qu’il n’y a pas un impact négatif majeur sur les ventes. Il y a par contre une difficulté et des coûts croissants à concentrer l’attention du public sur des titres donnés, qui explique le rétrécissement de l’offre des éditeurs qui ne satisfont que de ce modèle. est telle qu’on peut se demander jusqu’à quand les tenants du dogme parviendront à les ignorer. Plus encore, ces études sont unanimes à souligner la diversité culturelle accrue dans l’attention du public sur les réseaux pair à pair, même si le degré de cette diversification varie selon les protocoles utilisés4 La diversité semble supérieure sur les réseaux à base de « peering servers » multiples comme eDonkey par rapport aux réseaux utilisant des trackers plus centralisés comme BitTorrent. et est bien moindre dans une situation où ce partage est illégal et stigmatisé que lorsqu’il est reconnu5 Voir Philippe Aigrain, Diversity, attention and symmetry in a many­to­many information society, First Monday 11(6), juin 2006 et Philippe Aigrain, Diversity of Attention and Symmetry of Media : A Free Culture Research Agenda, Free Culture Research workshop, Harvard University, octobre 2009..

Le souci de certains acteurs de la production et de la distribution de pouvoir conserver une capacité de concentration de la promotion et de l’attention résultante du public sur un très petit nombre d’œuvres n’est pas surprenant. Ce qui l’est par contre est qu’on ait, au pays originateur de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, refusé d’envisager la reconnaissance du droit au partage hors marché au sein des politiques publiques.

Nous invitons donc la mission Création & Internet à élargir le cadre de sa réflexion en recommandant :

  • Des dispositions législatives ou réglementaires pour lever les obstacles dans la gestion collective et les contrats des éditeurs qui limitent le partage volontaire des œuvres. Ces dispositions doivent être considérées pour ce qu’elles sont : des clauses léonines se situant à l’opposé du droit d’auteur.
  • De prendre acte du consensus scientifique existant sur la réalité des effets du partage de facto non autorisé, et de recommander des politiques combinant la reconnaissance d’un droit à partager hors marché les œuvres numériques avec des modes de financement mutualisés de la création.

3) Comment favoriser le développement des offres culturelles légales sur Internet ?

Si l’on met à part la production des majors de la musique, l’offre légale sur Internet ne souffre en rien d’une raréfaction en ce qui concerne le nombre d’œuvres produites. Au contraire ce nombre n’a jamais été aussi grand, et si, bien sûr, la qualité de ces œuvres est (selon les critères que l’on souhaitera utiliser) variable, le nombre des œuvres de qualité est lui­même croissant. Les difficultés de notre époque résident dans le défi que nous lance l’existence d’une abondance de créations. Le dogmatisme qui a inspiré de façon constante la politique du droit d’auteur ces dernières années a répondu à ce défi par le souci de maintenir la fiction de la rareté : rareté des copies de fichiers par la volonté de limiter le partage hors marché, rareté de l’attention du public par la défense de modèles fondés sur la concentration de la promotion.

La mission fait état de son souci de lever le deuxième verrou en favorisant l’accès à l’attention du public d’œuvres plus divers émanant notamment de petites structures. Nous la prenons au mot en l’invitant à ne pas se priver du principal allié de cette diversification de l’attention du public : la reconnaissance de son rôle comme distributeur hors marché des œuvres numériques. Sans cet allié, que pèseront les bonnes intentions de la mission ?

4) Comment garantir la diversité de ces offres et assurer l’émergence de nouveaux talents ?

Voir ci-­dessus réponses questions 2 et 3. La diversité manquante est celle sur l’accès en pratique au public pour les créateurs et leurs œuvres. Il y a deux conditions interdépendantes pour la favoriser :

  • Favoriser les modèles qui ne se sont pas adossés au primat de la promotion concentrée sur un petit nombre de titres.
  • Permettre au public de contrebalancer la persistance inévitable d’une concentration de la promotion utilisant les médias audiovisuels en agissant lui­même comme distributeur des œuvres numériques sur Internet, sans pour autant que cette action puisse prendre un caractère commercial.

En ce qui concerne l’émergence des nouveaux talents, l’essentiel consiste à éliminer tous les facteurs qui favorisent l’économie de rente : revenir notamment sur l’extension de la durée de protection qui encourage la rente des héritiers et dissuade l’investissement dans les nouveaux talents ; adopter de nouvelles clés de rémunération sous-­linéaire6 Pourcentage dégressif en fonction du niveau d’accès. dans les modes de financement mutualisés associés aux échanges sur Internet (cf. réponse à la question 6) de façon à favoriser les artistes et œuvres à popularité plus réduite.

6) Quels sont les modes de financement possibles des industries culturelles ?

7) Comment assurer une juste rémunération des artistes et des producteurs de contenus culturels

Pour ces deux questions voir:

  • la réponse à la question 6) produite soumise par la plateforme Création­-Public­-Internet
  • Les propositions développés dans le livre Internet & Création : comment
    reconnaître les échanges sur Internet en finançant la création7InLibroVeritas, octobre 2008, http://www.ilv­edition.com/librairie/internet_et_creation.html. et les présentations résumées de ces propositions8Articles suivants de Philippe Aigrain :

    , ainsi que notre critique de dispositifs de taxation non associés à des droits pour les internautes9 La Quadrature du net, Méfiez­-vous des contrefaçons, http://www.laquadrature.net/fr/mefiez­-vous-­des-­contrefacons.
    .

8) Quels sont les bonnes pratiques en vigueur en France ou à l’étranger qui peuvent servir d’exemple ou de références dans ces domaines ?

En parallèle avec les mauvaises pratiques comme les approches à trois coups (three­ strike approaches) soufflées à l’oreille des gouvernements par un petit lobby planétaire, une réflexion internationale s’est développée ces dernières années sur la mise en place d’une légalisation du partage pair à pair hors marché d’œuvres numériques dans le cadre de mécanismes de licences collectives (relevant de l’organisation de la gestion des droits ou de licences légales). Ces réflexions ont donné lieu à des propositions progressivement mûries en Suède, en Italie, au Canada, aux Etats­-Unis, au Royaume­-Uni, par exemple. Nous invitons la mission à en prendre connaissance10 Cf. notamment, Volker Grassmuck, The World is Going Flat-­Rate, Intellectual Property Watch, http://www.ip­watch.org/weblog/2009/05/11/the­-world­-is-­going-­flat­-rate/., et à prendre acte des échecs successifs des politiques inverses.

References

References
1 http://www.laquadrature.net/files/LQdN-reponsesmissioncreationetinternet-280909.pdf
2 Nous nous étonnons au passage de ne pas voir ce média au nombre de ceux listés dans la consultation, alors qu’il est de loi où les mutations numériques ont été le plus générales. Il y aurait beaucoup de leçons à tirer de son devenir, notamment sur l’inéluctabilité du remplacement de la séparation nette entre créateurs professionnels et usagers par un continuum de positions, où les positions extrêmes continuent à exister, mais s’accompagnent de toute une série de positions intermédiaires, indispensables à la création et conditions de son économie.
3 Nous entendons par là le fait qu’il n’y a pas un impact négatif majeur sur les ventes. Il y a par contre une difficulté et des coûts croissants à concentrer l’attention du public sur des titres donnés, qui explique le rétrécissement de l’offre des éditeurs qui ne satisfont que de ce modèle.
4 La diversité semble supérieure sur les réseaux à base de « peering servers » multiples comme eDonkey par rapport aux réseaux utilisant des trackers plus centralisés comme BitTorrent.
5 Voir Philippe Aigrain, Diversity, attention and symmetry in a many­to­many information society, First Monday 11(6), juin 2006 et Philippe Aigrain, Diversity of Attention and Symmetry of Media : A Free Culture Research Agenda, Free Culture Research workshop, Harvard University, octobre 2009.
6 Pourcentage dégressif en fonction du niveau d’accès.
7 InLibroVeritas, octobre 2008, http://www.ilv­edition.com/librairie/internet_et_creation.html.
8 Articles suivants de Philippe Aigrain :

9 La Quadrature du net, Méfiez­-vous des contrefaçons, http://www.laquadrature.net/fr/mefiez­-vous-­des-­contrefacons.
10 Cf. notamment, Volker Grassmuck, The World is Going Flat-­Rate, Intellectual Property Watch, http://www.ip­watch.org/weblog/2009/05/11/the­-world­-is-­going-­flat­-rate/.