Tor est pour tout le monde

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Tribune de Lunar, membre de La Quadrature du Net
Il y a quelques mois, Nos oignons, une association qui participe au réseau Tor, a une nouvelle fois été contactée par un·e journaliste qui souhaitait « expliquer aux lecteurs comment on va dans le web profond (via Tor) et quel intérêt il y aurait à y aller, en oubliant tous les sites “dark” de type ventes d’armes ». Mais après quelques échanges, le sujet semble finalement difficile à vendre à la direction : « À ce stade nous manquons franchement d’arguments, au point que je me demande si l’article va finalement sortir. » À notre connaissance l’article n’est finalement jamais sorti.

Ce manque d’« arguments » nous semble provenir d’une erreur fondamentale de compréhension : l’usage de Tor (ou des sites .onion) n’est pas différent de l’usage du web et d’Internet en général. Si Internet est pour tout le monde, Tor l’est tout autant.

Sur Internet, on lit la presse. Pourtant, l’expérience est différente de celle de lire de la presse sur papier. Une personne qui attrape la dernière édition d’un quotidien sur le comptoir d’un café n’informe pas l’équipe du journal qu’elle vient de gagner en audience. Elle ne les prévient pas non plus être dans un café, ni du nom du café, ni de quelles pages elle a lu, ni de combien de temps elle a pu passer sur chacun des articles…

Or, si cette même personne se rend sur le site web du journal, alors il pourra au moins connaître la connexion utilisée, quelles pages ont été lues et pendant combien de temps. Mais ces informations ne sont pas uniquement accessibles au journal : la régie publicitaire en apprendra autant, tout comme Google qui fournit les polices de caractères, Facebook avec son bouton «  Like », Twitter pour son bouton « Tweet », pour ne citer que les plus courants.

Alors soyons clair : qu’il soit en papier ou en ligne, quand on lit un journal, on ne s’attend pas à ce qu’il nous lise en retour…

Lorsqu’on remplace Firefox ou Chrome par le navigateur Tor, on rend beaucoup plus difficile cette collecte d’information contre notre gré. On retrouve un Internet conforme à nos attentes.

Voir Tor principalement comme un outil pour l’anonymat ou le contournement de la censure, c’est penser son usage comme nécessairement marginal. Alors qu’au contraire, Tor constitue un pas vers un Internet davantage conforme aux intuitions les plus courantes sur son fonctionnement.

Le temps où Internet était réservé aux personnes ayant un bagage en science informatique est terminé. La plupart des internautes ne peuvent pas faire un choix informé sur les données et les traces enregistrées et partagées par les ordinateurs impliqués dans leur communications. Même les personnes qui développent des applications ont parfois bien du mal à mesurer l’étendue des données que fuitent les outils qu’elles conçoivent ! Utiliser le navigateur Tor permet justement de limiter les informations que nous communiquons à des tiers sans en avoir explicitement l’intention.

Maîtriser les informations que nous partageons lors de nos communications ne devrait pas être réservé à une élite. Voilà pourquoi Tor se destine au plus grand nombre.

Nos oignons contribue modestement au fonctionnement du réseau Tor en faisant fonctionner des relais en France. L’association démarre aujourd’hui une nouvelle campagne de financement afin de récolter les 12 000 € nécessaires pour fonctionner une année supplémentaire. La Quadrature du Net, qui veille à ce que l’usage de tels outils reste autorisé en France et en Europe, relaye donc cet appel. Soutenons Nos Oignons, ainsi que le projet Tor qui développe les logiciels.