La Quadrature a 10 ans ! Bilan et perspectives

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La Quadrature du Net fêtera ses dix ans dans quelques mois. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis qu’en mars 2008, face à une vague préoccupante de projets de lois et politiques, cinq militants – Christophe Espern, Jérémie Zimmermann, Philippe Aigrain, Gérald Sédrati-Dinet et Benjamin Sonntag, qui s’étaient rencontrés dans les combats contre la loi DADVSI, contre les brevets logiciels et pour la promotion des communs – décidèrent de former un collectif pour porter les valeurs de l’Internet libre face aux coups de boutoir sécuritaires et mercantiles.

Depuis, La Quadrature a connu de beaux succès. Elle est devenue un acteur important de la défense des droits fondamentaux à l’ère numérique, aux niveaux français et international. Chemin faisant, elle a tissé des liens féconds avec de nombreux acteurs militants.

Mais en dix ans beaucoup de choses ont changé, tant au niveau de l’organisation interne de ce qui est devenu une association que dans son environnement. Aujourd’hui, il s’agit d’apprendre de nos erreurs et de remettre à plat nos méthodes et nos modes d’action. C’est le but principal de ce document, fruit d’échanges et de discussions internes, que de proposer en quelques pages un bilan critique de là où nous en sommes aujourd’hui, et à partir de ce diagnostic, de dessiner des pistes pour l’avenir, lesquelles devront être discutées et précisées dans les prochains mois.

Cette « feuille de route » s’articule en trois temps :

  • L’identité : il s’agit de ré-expliciter ce qu’est La Quadrature du Net (LQDN), ce à quoi elle sert, ce qu’elle entend incarner, et comment elle souhaite le faire.
  • La gouvernance : nous souhaitons acter l’élargissement du cercle de ceux qui prennent part à LQDN et à ses actions.
  • Les missions : il s’agit de questionner notre approche de l’analyse juridique et du plaidoyer politique, mais aussi de réfléchir à la manière d’œuvrer au mieux à l’émancipation numérique à travers le développement d’outils.

 

1. Identité : ce qu’est La Quadrature du Net

En dix ans, le contexte dans lequel évolue La Quadrature s’est largement transformé. Il est marqué notamment par une accélération du durcissement sécuritaire et un resserrement de l’espace démocratique au niveau des institutions et dans l’espace public en général. Une tendance politique doublée de la fuite en avant de l’informatique centralisée et technocratique, elle-même marquée par l’hybridation toujours plus poussée des États et des grandes entreprises privées. Ce mouvement se traduit par la prolifération de la surveillance de masse (privée comme étatique) ou de la censure extrajudiciaire, par la criminalisation du partage, et de manière plus générale par la centralisation et la marchandisation toujours plus poussée de l’infrastructure numérique.

Heureusement, l’Internet alternatif, libre et décentralisé porte haut ses couleurs. Un tissu militant dense et créatif s’est progressivement structuré en France. De Framasoft à l’April en passant par la Fédération FDN, Nos Oignons et même de petites entreprises, beaucoup de groupes travaillent d’arrache-pied, en lien avec d’autres organisations de par le monde, pour que l’informatique en réseau puisse rester un espace d’émancipation individuelle et collective, plutôt que de servir d’instrument de surveillance et de contrôle.

Dans ce tissu de l’activisme numérique français, La Quadrature du Net s’est inscrite dans le sillage d’associations pionnières qui, dès les années 1990, s’étaient spécialisées dans la défense des droits fondamentaux sur Internet, comme l’Association des utilisateurs d’Internet ou l’IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire). À ce titre, et notamment à l’occasion de batailles contre les lois sécuritaires adoptées depuis 2013, elle a noué de nombreux liens avec d’autres organisations de défense des droits humains, à l’image de ses partenaires de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) comme Amnesty International France, le CECIL, le Creis-Terminal, la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat de la Magistrature.

Au niveau international, son expertise et ses analyses sont également reconnues et appréciées de diverses associations issues de l’activisme numérique comme l’Electronic Frontier Foundation, mais aussi de grandes ONG comme Human Rights Watch ou également de certaines organisations internationales dédiées à la défense des droits fondamentaux (ONU, Conseil de l’Europe).

Dans le paysage militant, LQDN occupe donc une position charnière, à l’interface d’un mouvement militant « libriste », inspiré par l’éthique émancipatrice des hackers et autres pionniers de l’Internet libre, et des associations de défense des droits, qu’elles soient françaises ou non. Sa spécificité est donc d’être une association française œuvrant à la construction et à la défense politique et juridique de l’Internet libre, et plus généralement des droits fondamentaux à l’ère numérique.

À partir de là, quelques précisions importantes s’imposent sur la manière dont elle travaille. Elle agit d’abord de trois manières :

  • par la production et la mise en débat d’analyses sur les enjeux politiques et juridiques de notre monde informatisé, et sur ses devenirs possibles (« doctrine »). Elle souhaite le faire autant que possible en anticipant plutôt qu’en réagissant, et ce afin de dessiner une trajectoire alternative à l’hégémonie technocratique que dessine l’alliance de fait des États et des grandes multinationales du numérique.
  • par le plaidoyer politique et juridique, ensuite, pour porter ces analyses auprès des personnes en position de pouvoir (« plaidoyer »). Outre les parlementaires, les juridictions, le gouvernement, la Commission européenne ou les autorités administratives indépendantes, il s’agit également de faire valoir ce plaidoyer et ces stratégies d’influence auprès de toutes et tous, afin qu’elles puissent être comprises et inspirer d’autres à aller dans le même sens.
  • par la sensibilisation et la formation, afin que notre vision du numérique et les pratiques qui en découlent puissent être  mises en débat, enrichies à partir de l’expertise de toutes et de tous, et ainsi essaimer dans la société (« éducation populaire »). Il s’agit par exemple de faire en sorte que nos alliés du monde militant puissent à leur tour se saisir de certains outils,  de développer des méthodes qui les émancipent de la surveillance et de la censure. Il s’agit aussi de contribuer à ce que chacun puisse comprendre les enjeux et soit en mesure d’utiliser l’informatique de façon consciente et raisonnée.

Mais encore ? Une fois qu’on a fait la liste de ces grands modes d’action, quelques principes permettent également de définir notre « style » :

  • Tout d’abord, nous souhaitons prendre garde à continuer à militer dans la joie et la bonne humeur, le plaisir des rencontres, le partage d’expériences, la solidarité, l’humour. L’état du monde est ce qu’il est, mais c’est aussi de cette manière que l’on peut s’en protéger, et agir au mieux pour le transformer.
  • Nous voulons également faire attention à diversifier nos modes d’expression et les formats, de l’analyse juridique la plus fouillée à l’intervention artistique la plus poétique, ce qui suppose (on y reviendra) de diversifier le profil de celles et ceux qui prennent part à l’association.
  • Nous voulons agir dans l’échange avec d’autres collectifs militants avec lesquels nous partageons un socle de valeurs. Ces dernières années, nous avons noué des dialogues fertiles avec des milieux a priori éloignés de la cause de l’Internet libre : des associations œuvrant pour la justice sociale et environnementale, les droits des migrants, la lutte contre le racisme et le sexisme, etc. Tout en gardant notre spécificité, nous voulons poursuivre et approfondir ces échanges et travailler à notre échelle aux convergences militantes.
  • Si nous assumons d’avoir des amis et des alliés privilégiés et si nous ne transigerons pas sur nos valeurs, nous restons cependant non partisans, et souhaitons être en mesure d’échanger avec tout le monde, y compris avec nos adversaires qui peuvent à l’occasion, dans un dossier spécifique, devenir des alliés.
  • Enfin, si nous nous réservons la liberté de défendre ou de travailler activement avec ceux que nous estimons partager nos valeurs, nous restons profondément attachés au principe selon lequel l’État de droit vaut pour tout le monde, y compris ceux avec lesquels nous sommes en opposition radicale (par exemple, nous estimons que la censure policière et extra-judiciaire n’en devient pas plus acceptable dans son principe lorsqu’elle est utilisée pour invisibiliser des discours de haine).

2. Gouvernance de l’association

En dix ans, et surtout ces quatre dernières années, La Quadrature s’est transformée. Elle est passée du statut d’association de fait sans réelle source de financement à celui d’une association « loi 1901 » employant désormais six salariés à temps plein, avec un budget annuel tournant autour de 350 000 à 400 000 euros. En outre, elle est devenue un acteur reconnu du débat sur les libertés à l’ère numérique, et concentre à ce titre un grand nombre de sollicitations extérieures (pour des interventions publiques par exemple), suscite des attentes diverses au sein de la société (notamment pour prendre position sur un grand nombre d’enjeux liés au numérique).

Pendant longtemps, les membres fondateurs de l’association ont assumé une gouvernance verticale. L’association suivait dans le détail la ligne politique et les positions détaillées qui faisaient consensus entre eux. La position des « cinq gus dans un garage » consistait à dire que, si pour telle ou telle raison, les gens qui se retrouvaient dans l’action de LQDN n’étaient plus d’accord avec ses orientations, rien ne les empêchait de créer leur propre association, de monter « leur propre Quadrature ». Nous ne prétendions pas à la représentativité, en dépit du fait que l’association en soit venue à concentrer une certaine visibilité et des attentes.

Par ailleurs, dans cette configuration verticale qui a eu sa pertinence et sa raison d’être, même l’équipe salariée s’est souvent retrouvée dans la situation d’attendre des directions de la part d’un Conseil d’administration bénévole resserré, incapable de répondre à ses besoins. De la même manière, entre l’équipe salariée et les militants bénévoles, une certaine verticalité s’est instaurée. Faute d’espace pour que ces derniers participent plus pleinement à la définition des priorités et des actions de l’association, il s’est souvent agi pour eux de relayer et de prendre part à des actions conçues sans eux. Certes, les « ateliers » et les Quadrapéros permettaient des moments d’échanges et d’émulation, mais jamais au point de renverser cette verticalité de fait.

Ce resserrement de la gouvernance de l’association sur une poignée de membres fondateurs et une petite équipe salariée a pu donner à certains de nos proches une image de fermeture, de manque de transparence, en plus de faire peser beaucoup de pression, de stress et d’attentes sur un petit groupe de militants salariés. Enfin, malgré certains efforts, LQDN continue d’être marquée par un manque de diversité : elle reste assez masculine, très blanche, et très parisienne malgré de premiers efforts de « décentralisation ».

Aujourd’hui, il est temps d’acter l’élargissement de La Quadrature. Nous voulons que celles et ceux des militants bénévoles qui travaillent de longue date avec nous ou de nouveaux-venus en qui nous avons toute confiance puissent être rapidement reconnus comme membres de La Quadrature, et ainsi s’épanouir à nos côtés comme militants. Cet élargissement se fera par cooptation, les membres fondateurs et l’équipe salariée décidant dans un premier temps de la vingtaine de personnes dont nous aimerions qu’elles nous rejoignent en priorité pour faire vivre l’association, concevoir et participer à ses actions, avec à l’esprit quelques lignes directrices pour guider cet élargissement :

  • accompagner la mise en place de cette « revue stratégique » et le renouvellement de notre action ;
  • s’ouvrir à des expertises et des trajectoires militantes diverses ;
  • assurer un maillage territorial, avec des membres capables d’agir comme points de relais locaux de l’action de La Quadrature ;
  • assurer le lien avec d’autres associations amies avec lesquelles nous souhaitons renforcer les interactions et faire jouer les complémentarités.

Les membres fondateurs et les administrateurs de LQDN resteront, en lien avec l’équipe salariée, les garants de sa ligne politique et responsables en dernière instance de l’association, mais la réflexion stratégique et l’action de LQDN sera débattue, élaborée et mise en œuvre par cette communauté élargie, qui aura encore vocation à s’étendre à de nouveaux contributeurs, et au sein de laquelle pourront à l’avenir être recrutés les responsables statutaires de l’association.

Chacun de ces membres devra apporter sa pierre au travail collectif en proposant des analyses et en organisant des actions, en prenant part aux campagnes, en jouant un rôle dans la vie interne de l’association, ou toute autre initiative qui rentrerait dans les missions et les tâches de LQDN dont il ou elle aurait envie de se charger. La Quadrature deviendra la somme de ces engagements que le site web sera en mesure de relayer, et qui pourront bénéficier des ressources de l’association. Cela va sans dire, outre les membres statutaires, toute personne souhaitant proposer une action ou rejoindre des initiatives en cours restera évidemment la bienvenue.

Cette Quadrature élargie cherchera dans le même mouvement à relâcher le contrôle sur l’expression publique. Chaque membre sera en mesure de pouvoir s’exprimer publiquement sur ses sujets d’expertise, notamment dans les médias, et jouera à ce titre un rôle de transmission et de représentation de l’association. La prochaine version de notre site web sera dotée d’un espace où tous les membres pourront partager une expression personnelle, n’engageant pas l’association dans son entier mais soumettant au débat leurs contributions et analyses. Nous entendons ainsi promouvoir le débat d’idées entre militants, visibiliser les conflits qui traversent nos milieux. D’autres formats bien identifiés seront réservés à l’expression de positions officielles et consensuelles de l’association, sous la responsabilité du bureau et de l’équipe salariée.

Cette dernière jouera un rôle de coordination et de facilitation de ces engagements bénévoles. Elle fera en sorte de structurer ce travail collectif afin de le rendre le plus utile possible aux missions de La Quadrature, de lui donner de la cohérence et de maximiser son impact. Mais elle ne peut évidemment pas tout faire, et elle devra aussi pouvoir se concentrer pleinement aux quelques priorités de l’association, qui nécessitent un suivi quasi-quotidien et la construction d’une expertise au long cours.

Chaque année, l’assemblée générale de La Quadrature devra permettre à l’ensemble de ces membres et à d’autres amis de l’association de se retrouver pour un moment de rencontre, de réflexion et de débat. Il nous faudra aussi trouver un outil permettant à cette communauté quadraturienne élargie d’échanger et de collaborer au mieux et le plus régulièrement possible, les mailings-lists traditionnelles n’étant pas des plus adaptées pour permettre à une trentaine de personnes de débattre et de travailler ensemble de manière efficace au quotidien.

 

3. Missions : plaidoyer institutionnel, défense juridique et émancipation numérique

En 2016, La Quadrature annonçait une réorientation stratégique consistant à faire moins de plaidoyer institutionnel au niveau français pour se libérer du temps et chercher à investir des modes d’action orientés vers la capacitation citoyenne (conférences et débats, ateliers, etc.). Aujourd’hui, cette vision reste pertinente mais nous n’avons pas bien su l’inscrire dans nos pratiques, faute d’une méthode claire pour cela.  Nous avons ainsi trouvé utile de nous remobiliser sur certains textes ultra-sécuritaires en adoptant le même type de stratégie : analyse juridique détaillée des textes, rencontre de parlementaires et propositions d’amendements. Avec, au final, des résultats mitigés, et un sentiment de n’avoir que des mauvaises nouvelles démobilisatrices à annoncer.

Dans l’action juridique aussi, nous devons pouvoir faire valoir des propositions alternatives, et contribuer à la construction d’espaces émancipés où elles auront cours. D’autant que dans nos milieux militants, certains des bâtisseurs d’un Internet libre et décentralisé sont demandeurs de conseils juridiques pour les aider à défendre leurs valeurs. Nous devons les aider à réduire les risques juridiques encourus et faire en sorte qu’ils puissent compter sur des réseaux de solidarité suffidament denses si jamais les choses tournaient mal, mais aussi tenter d’intervenir de manière plus systématique dans les débats de doctrine juridique pour porter des interprétations du droit qui nous soient favorables (par exemple en ce moment sur l’interprétation des dispositions du règlement européen sur les données personnelles). De cette manière, nous pourrons faire avancer la cause différemment et plus efficacement qu’en nous épuisant dans des dossiers perdus d’avance au Parlement.

Ces deux remarques appellent à adopter quelques principes simples permettant de diversifier nos modes d’intervention en matière juridique :

  • D’abord, ménager nos efforts en matière d’influence législative, ou plutôt, réussir à faire le pas de côté qui nous permettra d’intervenir efficacement dans ces débats sans pour autant battre de l’air. Au plan de la méthode, il s’agira de systématiser un diagnostic politique d’un dossier législatif sur lequel nous envisageons de nous mobiliser, et ce dès son surgissement. Confrontés à un projet de loi ou de directive, il nous faudra situer les enjeux politiques et lucidement nous poser la question d’y aller ou pas, et avec quelle tactique. Tentons-nous une activité de plaidoyer classique auprès des parlementaires ? Si nous anticipons de nous heurter à des portes fermées, quels autres modes d’influence ou d’action devons-nous privilégier ? Un tel exercice nous permettra de rationaliser notre action, d’économiser nos ressources pour les réinvestir dans d’autres formats dont le besoin se fait de plus en plus sentir.
  • Car outre les décideurs publics, il s’agit aussi de faire comprendre à toutes et à tous le droit associé à Internet, et de permettre à toute sorte d’acteurs qui se retrouveraient dans notre vision du numérique de se saisir du droit existant et des interprétations que nous en proposons. Par exemple, les fournisseurs d’accès Internet associatifs de la Fédération FDN se posent la question de leurs pratiques en matière de conservation des données suite aux arrêts Digital Rights et Tele2 de la Cour de justice de l’Union européenne. Nous devons être en mesure de leur exposer notre analyse du droit et d’œuvrer à l’appropriation par toutes et tous de ces débats juridiques.
  • Il nous faut enfin tenter de donner une nouvelle dimension à notre influence doctrinale. La Quadrature reçoit régulièrement des demandes d’intervention à des colloques juridiques, ou de contribution d’articles pour des revues de droit, etc. Elle honore autant que faire se peut ces demandes, mais il est difficile en l’état de saisir toutes ces occasions d’échanger avec le monde du droit et ses professionnels, et de tenter ainsi de leur faire comprendre nos positions. Demain, grâce à l’élargissement de l’association et à l’arrivée de nouveaux membres et contributeurs juristes, il faudra tenter de multiplier les expertises et d’occuper plus intensément ce terrain.

Un autre problème relevé dans nos stratégies de plaidoyer et de défense juridique réside aussi dans le fait que les politiques sécuritaires dans le champ numérique se sont inscrites dans les pratiques institutionnelles sans que nous sachions nous mobiliser au-delà des débats parlementaires ou des contentieux juridictionnels. Nous en restons à un discours souvent abstrait sur l’État de droit, pointant les risques de dispositions législatives ou d’orientations politiques. Or, le droit du numérique conduit à la répression injuste et dangereuse d’individus ou de catégories de personnes. Et ces cas permettent d’incarner ces dérives, de faire sentir la violence dans la pratique du pouvoir, d’incarner l’injustice bien mieux que ne le ferait un communiqué lénifiant sur « la remise en cause des droits fondamentaux ». Bref, il nous faut réinvestir les cas d’arbitraire, les documenter et les articuler lorsque cela est possible et pertinent à nos stratégies politiques et contentieuses.

Pour finir, il nous faut aborder un dernier point central dans les missions de LQDN : les outils et l’émancipation numérique. Depuis ses débuts, La Quadrature a toujours tenté de développer des outils qui lui permettraient de faciliter la participation à ses campagnes, tels que Memopol ou le PiPhone. Or, pour mener à terme le développement de ces outils ambitieux, les ressources ont manqué, de même que la réflexion sur l’usage attendu de ces derniers. Et même lorsque ce travail était fait, il était tout simplement difficile de maintenir ces efforts dans la durée avec seulement un développeur-salarié et une communauté de bénévoles relativement restreinte. Si ces initiatives ont eu leur raison d’être, il est temps de repenser la manière dont nous mobilisons l’expertise technique de celles et ceux qui participent à nos combats.

Tout cela sera bien sûr à discuter, par exemple à l’occasion du Fabulous Contribution Camp que nous organisons à Lyon à la fin du mois avec nos amis de Framasoft. Il semble qu’aux côtés d’acteurs comme Framasoft, la Fédération FDN, Nos Oignons et même des collectifs mondialement réputés comme Rise Up, nous puissions jouer un rôle spécifique, justement en raison de notre position charnière entre les milieux « libristes » et d’autres secteurs militants au niveau français. Nous n’avons pas forcément vocation à devenir des hébergeurs de services, notamment parce que beaucoup le font déjà et que cela supposerait d’adapter nos structures de gouvernance pour donner la voix aux utilisateurs de ces services. En revanche, nous pouvons participer à l’accompagnement de projets, contribuer à faire se rencontrer des militants issus de causes diverses et les bâtisseurs de l’Internet libre, usagers et développeurs – comme dans les premiers temps de l’activisme numérique français où des initiatives comme le R@S contribuaient à la convergence des luttes par la fourniture d’une infrastructure numérique partagée, en plus de permettre une réflexion croisée sur les usages militants du numérique.

Grâce à ses nombreux membres et contributeurs experts du numérique, LQDN peut aussi sensibiliser aux dangers de certains services dominants ou émergents, en documentant leurs pratiques (par exemple en matière de collecte et de partage de données avec des tiers). Ce ne sont là quelques pistes qu’il faudra discuter et affiner avec nos amis de l’Internet libre.

Voici dans les grandes lignes là où nous souhaitons emmener La Quadrature dans les mois et les années qui viennent. Ces priorités stratégiques réaffirmées s’articulent donc à un changement majeur dans l’histoire de l’association, à savoir l’élargissement de son « premier cercle », ou plutôt sa pleine reconnaissance. Nous voulons ainsi redonner du souffle à notre collectif, en multipliant les contributions et en permettant que le travail réalisé ces dernières années puisse servir plus utilement encore la cause démocratique. En attendant d’affiner ces orientations avec toutes celles et ceux qui voudront bien accepter la proposition de nous rejoindre, vos commentaires sont les bienvenus !