PJL Terrorisme : Le Parlement peut encore s’opposer à la dérive sécuritaire

Posted on


Paris, 29 octobre 2014 — Mardi 21 octobre 2014, la commission mixte paritaire a adopté un texte qui — si on excepte la suppression de l’article 151L’article 15 portait à 30 jours le délai de conservation des interceptions de sécurité, dont l’article 20 de la loi de programmation militaire a récemment modifié le régime légal, ouvrant la porte à des mécanismes de surveillance généralisée — est gravement attentatoire aux libertés et au droit à une procédure équitable, comme La Quadrature du Net le dénonce depuis le lancement du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, en juillet 2014.

Aujourd’hui mercredi 29 octobre, l’Assemblée nationale et, mardi 4 novembre, le Sénat s’exprimeront de manière définitive sur ce texte par voie d’approbation ou de rejet. Pas question donc de revenir sur les mesures liberticides dénoncées au cours des cinq derniers mois, venant de l’univers de la société civile ainsi que d’organismes consultatifs à l’instar du Conseil National du Numérique ou de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

Le texte issu de la commission paritaire ne fait que renforcer certaines des dispositions longuement critiquées, notamment à l’article 9 portant sur le blocage administratif des sites soi-disant terroristes. En effet, lors du passage au Sénat, le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, sourd aux réactions critiques portées à son projet de loi, a jugé opportun de faire passer un amendement très controversé étendant la censure administrative2« L’autorité administrative peut également notifier les adresses électroniques dont les contenus contreviennent aux articles 421-2-5 et 227-23 du code pénal aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels prennent toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement du service de communication au public en ligne. ». Cet amendement, introduit dans les dernières heures du débat au Sénat et à propos duquel le ministre a menti aux sénateurs, donne à l’autorité administrative le pouvoir d’obliger les moteurs de recherche à déréférencer les sites en question, sans que la décision soit soumise à l’évaluation d’un magistrat. Une énième mesure symptomatique des dérives de l’ensemble du texte, qui vise à la réalisation d’une justice expéditive peu soucieuse de l’État de Droit et des libertés de chacun, et qui sera rapidement soumise à l’approbation des deux Chambres.

Un article 1bis — introduit encore une fois en dernière minute à la demande du gouvernement — a été ajouté au projet au Sénat et conservé par la commission mixte paritaire3« Art. L. 214-2. – Tout ressortissant étranger non mentionné à l’article L. 214-1 peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire, lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France. ». Cet amendement remet en question l’une des libertés fondamentales de l’Union européenne, à savoir la libre circulation des personnes. Les motifs invoqués ne sont en rien limités au terrorisme. Le gouvernement a voulu donner à la police administrative le pouvoir d’empêcher l’entrée à « tout ressortissant étranger [qui ne] (…) réside pas habituellement en France lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France ». Une formulation extrêmement vague qui a provoqué un véritable tollé parmi les défenseurs des Droits de l’Homme, et qui donnerait à l’autorité administrative le pouvoir de remettre en cause la liberté de circulation de chaque citoyen européen sans l’aval de la justice.

« Compte-tenu des pressions extrêmes exercées par le gouvernement et de la mise en scène tous azimuts dans les médias d’un climat sécuritaire aggravé, il est malheureusement fort probable que ce texte sera adopté par les deux chambres. La Quadrature du Net appelle chaque parlementaire à agir selon sa conscience. Chaque député, chaque sénateur qui rejettera ce texte prendra date comme étant l’un de ceux qui se seront opposés à l’instrumentalisation des risques terroristes pour porter atteinte aux droits fondamentaux et à l’État de Droit, dans des domaines qui vont très au-delà de la seule lutte anti-terroriste. », déclare Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net

« Après la loi de programmation militaire l’an dernier, les débats sur ce texte ont fourni une nouvelle illustration du mépris du gouvernement et de nombreux parlementaires envers l’État de droit. Tous ceux qui y sont habilités4Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que par 60 sénateurs ou 60 députés (article 61 de la Constitution). s’honoreraient désormais à saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il puisse juger avant l’entrée en application de ce projet de loi des graves menaces que ce dernier fait peser sur les libertés publiques. », conclut Félix Tréguer, co-fondateur de l’association.

References

References
1 L’article 15 portait à 30 jours le délai de conservation des interceptions de sécurité, dont l’article 20 de la loi de programmation militaire a récemment modifié le régime légal, ouvrant la porte à des mécanismes de surveillance généralisée
2 « L’autorité administrative peut également notifier les adresses électroniques dont les contenus contreviennent aux articles 421-2-5 et 227-23 du code pénal aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels prennent toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement du service de communication au public en ligne. »
3 « Art. L. 214-2. – Tout ressortissant étranger non mentionné à l’article L. 214-1 peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire, lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France. »
4 Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que par 60 sénateurs ou 60 députés (article 61 de la Constitution).