République Numérique : déception 2.0

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“L’Observatoire des Libertés et du Numérique regroupe le Cecil">Communiqué commun de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN)”

Paris, le 24 juin 2016 — Le Projet de loi pour une République numérique va être présenté en Commission Mixte Paritaire (CMP) le 29 juin prochain. Voté à l’Assemblée nationale en janvier 2016 et au Sénat en avril 2016, il va donc faire l’objet de négociations entre les deux chambres en vue de présenter un texte harmonisé au vote des parlementaires. Outre les quelques points cruciaux concernant la défense des droits fondamentaux contenus dans ce texte et qu’il est encore temps de renforcer ou de corriger lors de cette CMP, l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) tient à tirer un bilan critique de ce projet de loi et de son élaboration, présentée comme novatrice par le gouvernement, mais qui est, en réalité, profondément décevante.

Cecil">Communiqué commun de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN){[(|fnote_stt|)]}L’Observatoire des Libertés et du Numérique regroupe le Cecil, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des Avocats de France et La Quadrature du Net.{[(|fnote_end|)]}

Axelle Lemaire

Le projet de loi pour une République numérique a été annoncé en grande pompe au début de l’automne 2014, comme une grande loi du numérique élaborée avec les citoyens. Rappelons que dans ses promesses de campagne, François Hollande parlait même d’« Habeas Corpus numérique ». Si l’affirmation et la consolidation des droits sont rapidement passées de mode dans les priorités du gouvernement, les annonces faites autour de la loi Numérique parlaient cependant de co-écriture de la loi et de consultation citoyenne. L’OLN et ses membres ont participé aux deux phases principales de consultation, d’abord auprès du Conseil national du numérique (CNNum), puis sur la plateforme mise en ligne par le gouvernement pour amender la première version du texte avant présentation au Conseil d’État.

  • Malheureusement, le gouvernement n’a pas assez puisé dans le rapport du Conseil national du numérique, ou tenu compte de ses évaluations sur plusieurs dispositions déjà présentes dans les lois françaises et qui auraient pu être revues à l’occasion de la discussion du projet de loi Numérique. Dès l’été 2015, les premières versions fuitées du texte du projet de loi ont montré une ambition au rabais et un texte peu novateur, laissant peu de place aux libertés et se targuant de mesures protectrices qui ne sont rien d’autre que la transposition des nouvelles réglementations européennes, notamment sur la neutralité du Net et les données personnelles.
  • Pire, les seuls points réellement protecteurs et positifs pour les citoyens et la vie numérique, inclus dans un chapitre sur les Communs qui affirmait positivement cette notion essentielle de la création et de la vie numérique, ont été retirés du projet de loi sous la pression des habituels lobbys d’ayants droit craignant par-dessus tout la moindre évolution en matière de droits d’auteur. Ils n’étaient pas touchés par ce texte, mais ont mené une campagne de dénigrement tellement forte au sein du gouvernement et contre la secrétaire d’État au numérique que les arbitrages interministériels ont tranché, une fois encore, au détriment des Communs et du public.
  • Dès lors, la consultation publique lancée par le gouvernement à l’automne 2015, intéressante dans sa forme mais inutile sur le fond, a consacré l’hypocrisie du processus général utilisé pour l’élaboration de cette loi : consulter les citoyens, leur proposer d’amender et d’améliorer un texte, de le commenter, mais sans prendre en compte ces remarques et refuser finalement de réintégrer les propositions sur les Communs, massivement soutenues. La quasi totalité des propositions arrivées en tête des soutiens des internautes portaient sur le logiciel libre, la défense du domaine public, l’affirmation des Communs, la neutralité du Net, le renforcement de la protection des données personnelles, le droit au chiffrement des communications ou l’open access. De tout cela, le gouvernement n’a quasiment rien repris, signifiant par là que l’apparence lui importait plus que le fond, et que la vieille politique était celle qui prévalait.

Inévitablement, le texte présenté en conseil des ministres était donc décevant pour l’OLN et pour une grande part des participants à ces consultations.

Le débat mené à l’Assemblée nationale et au Sénat a montré que, plus que des désaccords de partis, les dissensions portaient sur la connaissance ou la méconnaissance des enjeux portés par le projet de loi. Si Axelle Lemaire a bordé la discussion de manière à ce que les pires propositions régressives ne puissent être adoptées, elle n’a laissé quasiment aucune marge de manœuvre positive sur les propositions d’amélioration du texte.

Parmi les points les plus dangereux qu’il conviendrait de corriger lors de la commission mixte paritaire, le plus significatif est probablement le cas de l’article 23.

Dans sa rédaction à l’Assemblée nationale, il impose aux plateformes ayant dépassé un seuil de connexion défini par décret :

  • d’avoir une personne physique désignée comme représentant en France,
  • de mettre en place un système de détection automatique de contenus illicites.

Dans sa rédaction au Sénat, l’article 23 supprime l’obligation de représentation en France et la détection automatique, mais conserve la notion d’action « diligente » et « proactive » dans la lutte contre les contenus illicites.

La LCEN a ouvert une brèche en obligeant les hébergeurs – c’est-à-dire des entités privées – à retirer promptement les contenus « manifestement illicites » signalés. Mais jusqu’à présent, elle ne leur imposait pas une surveillance préalable sur ces contenus. Voilà ce qui est désormais en jeu dans le projet de loi Numérique puisque certains souhaitent imposer proactivité ou détection automatique.

Nous demandons donc aux parlementaires impliqués dans la CMP de revenir sur l’ensemble de ces dispositions et de les renvoyer à une discussion ultérieure : cela demande réflexion au niveau européen, transparence sur les objectifs finaux et prise en compte de nombreux paramètres notamment à propos de l’exercice des droits fondamentaux et du risque de police privée inhérent à la hausse inconsidérée de l’obligation de surveillance.

Sur les autres points, l’OLN regrette l’absence d’ambition concernant la priorité à donner au logiciel libre dans les marchés publics, l’absence de dispositions plus protectrices des utilisateurs dans les chapitres de la loi traitant de la neutralité du Net ou des données personnelles, ainsi que l’absence totale de prise en compte du domaine public, y compris dans la possibilité pour des associations d’aller le défendre contre les abus d’enclosures.

L’OLN déplore la manière dont l’ensemble de l’élaboration de cette loi a été menée. Elle est profondément décourageante pour tous les citoyens et organisations qui s’y sont investis pleinement sans que cela n’ait jamais été pris véritablement en compte autrement que par des auto-congratulations gouvernementales. Il est plus que temps que la France profite des apports du numérique pour renforcer ses mécanismes démocratiques au lieu de les restreindre.

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