Pas de programme Prism à la française

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publiée dans l’édition du Monde">Tribune de Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann, cofondateurs de La Quadrature du Net, publiée dans l’édition du Monde datée du mercredi 18 décembre 2013.

Nos libertés fondamentales sont en danger

Le mardi 10 décembre, le Sénat a voté en deuxième lecture le texte de la loi sur la programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

Ce texte étant identique à celui voté en première lecture le 3 décembre à l’Assemblée, la loi est donc adoptée et, en son sein, le très contesté article 20. Cet article porte sur l’accès aux « informations ou documents traités ou conservés par » les réseaux des hébergeurs ou services de communications électroniques, « y compris les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques ». Il précise que ces informations et documents « peuvent être recueillis sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel par les opérateurs ». Le débat autour de cet article continue de plus belle dans l’espoir de le voir aboutir à une saisine du Conseil constitutionnel par des parlementaires.

Certains prétendent clore ce débat en affirmant que l’article ne ferait qu’un habillage cosmétique de dispositions existantes pour en assurer la lisibilité ou même serait plus protecteur des libertés. Selon eux, l’opposition n’est due qu’à une désinformation issue de l’Association des services Internet communautaires, dont certains membres sont de grands collecteurs et exploiteurs de données personnelles.

Nous constatons l’inaction du gouvernement pour protéger ses propres citoyens d’atteintes sévères à leurs droits fondamentaux par la surveillance. Loin d’accorder l’asile à Edward Snowden, il s’est transformé un temps en auxiliaire de police à la demande des Etats-Unis lors de l’interdiction de survol du territoire de l’avion du président bolivien. Depuis, la France a consenti au Conseil européen à reporter à 2015 l’adoption du nouveau règlement européen sur la protection des données.

A-t-on suspendu l’accord sur la sphère de sécurité (Safe Harbor Agreement), qui permet le transfert des données personnelles aux Etats-Unis, comme les Etats membres en ont le droit face à une violation aussi patente ? Et enfin, voilà qu’on adopte un texte qui ouvre la porte aux mêmes abus que le FISA Amendement Act de 2008 , base légale invoquée par la NSA pour justifier le programme Prism.

L’article 20 marque une dérive vers un système dans lequel les informations issues des communications de chacun pourront être capturées sur simple décision administrative, sans mandat judiciaire ni contrôle effectif et décisionnel de la part d’un juge ou d’autres autorités indépendantes. En assemblant les dispositions de la loi de 1991 et celles de la loi antiterroriste de 2006, loi d’exception provisoire rendue maintenant pérenne, en y ajoutant la « sollicitation du réseau et transmission en temps réel », en y incluant de nouvelles formes de données de géolocalisation, on change l’étendue possible de la surveillance.

Les garanties invoquées comme sécurisantes sont d’une insigne faiblesse. Elles sont bien inférieures à celles qui existaient pour les citoyens américains dans le FISA Amendement Act qui, pourtant, n’ont pas empêché d’immenses abus à leur égard. Enfin, l’un des membres de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative chargée d’une tâche relevant du pouvoir exécutif, a joué un rôle-clé dans l’adoption de l’article 13 comme président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, rapporteur pour avis, et propagandiste de ce texte qui étend les pouvoirs de la CNCIS et son domaine d’activité. Qu’en penser au regard de la séparation des pouvoirs ?

Il fut un temps où nous considérions que les services chargés de la sécurité y travaillaient honnêtement, quitte à ce que des autorités abusent parfois de leurs moyens pour des motifs politiques ou pour couvrir quelque affaire louche. Cette confiance relative est rompue par l’ouverture à un régime de surveillance généralisée. Le Conseil constitutionnel censurera, espérons-le, cette atteinte aux droits fondamentaux. L’invocation sécuritaire, ici aussi vague qu’extensible, ne doit pas empêcher de penser ni de défendre les libertés.