Les droits culturels fondamentaux doivent être au cœur de la réforme du droit d’auteur en Europe !

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Paris, le 23 décembre 2013 — Pour la troisième fois en trois ans, la Commission européenne a lancé une nouvelle consultation sur le droit d’auteur dans le marché intérieur. Malgré le signal historique envoyé par la société civile et les parlementaires européens lors du rejet de l’accord ACTA en juillet 2012, la Commission refuse toujours de placer au cœur de la réforme du droit d’auteur en Europe la reconnaissance des droits culturels fondamentaux des individus. La Quadrature du Net appelle un maximum de citoyens et d’organisation à répondre à cette consultation pour en critiquer l’approche et pousser des solutions positives en faveur d’une réelle adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique.

[MÀJ : les conseils de La Quadrature pour préparer votre réponse sont en ligne ici,et la réponse de l’association ici]

En déconnexion avec les aspirations profondes des citoyens européens, l’objectif principal de la Commission dans cette consultation reste « l’amélioration de la mise à disposition de services de fourniture de contenus au sein du Marché Unique au-delà des frontières nationales, tout en assurant un niveau de protection adéquat des titulaires de droits »1Traduction par nos soins : “whether further measures […] need to be taken at EU level […] to increase the cross-border availability of content services in the Single Market, while ensuring an adequate level of protection for right holders”. Par ailleurs, la Commission a inscrit cette consultation dans la lignée du processus Licences for Europe, qui s’est soldé pour elle par un échec en novembre dernier. Le questionnaire continue à proposer de simples solutions contractuelles pour l’adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique, alors qu’une révision en profondeur de la directive 2001/29 est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Les droits culturels fondamentaux oubliés

La Commission balaie un grand nombre de questions dans sa consultation, mais elle passe sous silence les plus importantes pour la reconnaissance des droits culturels des individus en Europe. Aucun questionnement n’est ouvert sur la principe des DRM (Mesures Techniques de Protection), alors que ces « menottes numériques » fragilisent gravement les droits des individus sur les contenus culturels depuis leur consécration par la directive de 2001.

Plus significativement, la Commission européenne ne pose pas la question de savoir s’il convient de légaliser le partage non marchand entre individus des œuvres protégées en ligne, alors que cette problématique constitue l’enjeu majeur auquel l’adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique est confronté.

Ces questions sont au contraire au cœur du programme de réforme positive du droit d’auteur et des politiques culturelles liées que promeut La Quadrature du Net. La dernière partie du questionnaire intitulée « Autres sujets » permettra de faire valoir ce qui aurait dû être la première préoccupation de la Commission !

Des orientations dangereuses qu’il faut contrer

Par ailleurs, plusieurs parties de la consultation pourraient amener à une remise en question d’acquis fondamentaux permettant le fonctionnement même d’Internet. C’est le cas lorsque la Commission demande si « le fait de mettre à disposition un lien hypertexte vers un contenu protégé par le droit d’auteur (…) devrait être soumis à autorisation du titulaire de droit » ou si le simple fait de « voir une page web lorsque cela implique une reproduction temporaire d’un contenu protégé à l’écran ou dans la mémoire cache de l’ordinateur de l’utilisateur (…) devrait faire l’objet d’une autorisation ». La remise en question des libertés de lier ou de consulter des pages web – déjà attaquées en Allemagne et en Angleterre [en] – constituerait une régression majeure.

Mais les passages les plus dangereux de la consultation figurent dans la partie VI consacrée au « Respect des droits ». La Commission demande si « le cadre juridique actuel est assez clair pour permettre l’implication suffisante des intermédiaires (comme les fournisseurs d’accès Internet, les régies publicitaires, les moyens de paiement en ligne, les registaires de noms de domaines) dans la prévention des violations en ligne au droit d’auteur dans un cadre commercial »2Traduit par nos soins  “the current legal framework [is] clear enough to allow for sufficient involvement of intermediaries (such as Internet service providers, advertising brokers, payment service providers, domain name registrars, etc.) in inhibiting online copyright infringements with a commercial purpose” et « quelles mesures seraient utiles pour favoriser la coopération de ces intermédiaires »3Traduit par nos soins  “If not, what measures would be useful to foster the cooperation of intermediaries? ». On retrouve ici la volonté de faciliter l’engagement de la responsabilité des intermédiaires techniques qui était au coeur de la loi SOPA ou de l’accord ACTA. Mais les formulations employées par la Commission font aussi écho au concept « d’auto-régulation des plateformes » qui est poussé actuellement par la France au niveau européen et qui peut conduire à la mise en place de nouvelles formes de police privée du droit d’auteur.

Sur ces point, La Quadrature appelle les citoyens et les organisations citoyennes à manifester leur désaccord vis-à-vis de ces mesures rétrogrades et répressives !

Pousser en faveur d’une réforme positive

Pour autant, la Commission envisage aussi dans son texte plusieurs sujets qui peuvent être l’occasion de demander une réforme positive du droit d’auteur européen, dans le sens des usages et de la circulation de la connaissance. La Commission demande par exemple si la durée des droits ne devrait pas être diminuée ou si les œuvres ne devraient pas faire l’objet d’un enregistrement préalable pour être protégées, deux mesures qui conduiraient à renforcer le domaine public en Europe. Elles demandent également si des exceptions au droit d’auteur ne devraient pas être mieux harmonisées et renforcées, notamment pour les usages pédagogiques et de recherche, en faveur des institutions culturelles ou des handicapés, pour des pratiques innovantes comme le data mining ou les usages transformatifs (remix, mashup).

Sur tous ces points, il importe que la société civile, individus et institutions publiques ou privées, fasse entendre sa voix pour demander un assouplissement du cadre législatif européen.

La Quadrature du Net répondra à cette consultation, à partir des Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées. Il est peu probable que l’actuelle Commission soit en mesure de lancer un processus de réforme, à cause de l’approche de nouvelles élections européennes. Mais il importe que la nouvelle Commission reçoive dès sa prise de fonction un signal fort en faveur d’une révision positive de la directive de 2001 et cette consultation en donne l’occasion !

« L’Union européenne ne peut plus repousser la mise en œuvre d’une véritable réforme du droit d’auteur qui prenne en compte les droits culturels fondamentaux des individus, tout en mettant fin à la spirale répressive constatée ces dernières années », déclare Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net.

« Sans une mobilisation massive de la société civile, le processus enclenché par la Commission peut conduire à une régression. Mais des propositions positives sont portées par des organisations citoyennes, partout en Europe, qui doivent à présent faire entendre leur voix », déclare Lionel Maurel, co-fondateur de l’association La Quadrature du Net.

References

References
1 Traduction par nos soins : “whether further measures […] need to be taken at EU level […] to increase the cross-border availability of content services in the Single Market, while ensuring an adequate level of protection for right holders”
2 Traduit par nos soins  “the current legal framework [is] clear enough to allow for sufficient involvement of intermediaries (such as Internet service providers, advertising brokers, payment service providers, domain name registrars, etc.) in inhibiting online copyright infringements with a commercial purpose”
3 Traduit par nos soins  “If not, what measures would be useful to foster the cooperation of intermediaries? »