[LeMondeDiplomatique] États et entreprises à l’assaut de la vie privée

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En ce 15 avril, le ministre de l’intérieur français, M. Bernard Cazeneuve, s’emporte face aux quelques députés qui, dans un hémicycle clairsemé, bataillent contre le projet de loi relatif au renseignement. « Les opérateurs Internet détiennent nos données personnelles, argue-t-il, et je suis convaincu que nombre d’entre eux utilisent des techniques extraordinairement intrusives à l’égard de nos propres existences. » Or « cela ne pose aucun problème lorsqu’il s’agit de grands trusts internationaux (…). Mais lorsqu’un Etat se propose de prévenir le terrorisme sur Internet, il est nécessairement suspect de poursuivre des objectifs indignes ! ».

D’un point de vue régalien, le raisonnement semble aller de soi : pourquoi, à moins de faire preuve d’incohérence, vouloir interdire à la puissance publique de mobiliser des techniques couramment mises en œuvre par le secteur privé ? Les adversaires de la loi sur le renseignement critiqueraient les visées orwelliennes de l’Etat, mais resteraient cois lorsque les grandes plates-formes numériques auxquelles ils se livrent corps et âme recourent à des pratiques semblables pour bombarder leurs utilisateurs de publicités ciblées. […]

Pour autant, l’analogie n’est pas dénuée de fondements techniques. Bien qu’elles aient chacune des finalités propres, surveillance commerciale et surveillance étatique reposent sur les mêmes dispositifs. Qu’il s’agisse d’anticiper la criminalité ou le comportement des consommateurs, les outils de collecte et d’analyse des données sont identiques. Mais on peut tirer de cette similitude une conclusion tout à fait opposée à celle du ministre de l’intérieur : plutôt que de se prévaloir des turpitudes privées pour légitimer celles de l’Etat, le législateur pourrait s’employer à réglementer plus sévèrement ces deux formes d’atteintes à la vie privée. […]

http://www.monde-diplomatique.fr/2015/06/TREGUER/53099