Le Parlement européen doit défendre la neutralité du Net contre les pressions du Conseil

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Paris, 29 juin 2015 — Le Conseil de l’Union européenne cherche à sabrer toute référence à la neutralité du Net dans le règlement sur les télécommunications. Alors que le Conseil a toujours refusé de faire un pas vers un compromis, il cherche depuis plusieurs semaines à faire porter la responsabilité d’un échec des négociations sur le Parlement européen. C’est donc avec beaucoup de mauvaise foi que le Conseil aborde le 4ème trilogue1Procédure législative à huis-clos où le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne tentent d’arriver à un accord sur un texte. aujourd’hui, avec la volonté de faire céder le Parlement européen.

La neutralité du Net occupe une grande place dans les négociations sur le règlement sur les télécommunications. En effet, le Conseil cherche à n’insérer que des dispositions susceptibles de satisfaire les puissantes entreprises de télécommunications : autorisation du Deep Packet Inspection, mise en place de discriminations tarifaires, suppression de toute référence à la neutralité du Net assurant la non-discrimination et l’égalité de traitement des données de chacun.

Depuis le début des négociations en trilogue, le Conseil n’a eu de cesse d’essayer de supprimer toutes les dispositions en faveur des droits et intérêts des citoyens européens. Il s’appuie d’une part sur la lâche indifférence, voire la malveillance, de la Commission européenne sur la neutralité du Net, mais aussi sur les divergences de vue au sein du Parlement. Ainsi, alors que les négociateurs sont divisés – avec Michel Reimon en tête des négociateurs favorables à la neutralité du Net, contre l’allégeance de la rapporteure Pilar del Castillo aux entreprises de télécommunications – le Conseil joue les fauteurs de troubles.

Cette mauvaise fois de la part du Conseil est inadmissible. Sa tentative une fois de plus de favoriser les puissantes entreprises au détriment des citoyens, et son travail insidieux pour diviser le Parlement européen est totalement irresponsable. Le gouvernement français n’est pas en reste : après avoir longtemps combattu la neutralité du Net, il essaie de redorer son blason sans jamais donner une définition claire de ce principe et en refusant que sa définition ne soit inscrite dans le droit européen.

Net Neutrality

Alors que l’auteur de la notion de neutralité du Net, le professeur Tim Wu, s’inquiète des négociations européennes sur le sujet, déclarant la semaine dernière que « l’Internet en Europe ne se remettra jamais si ces propositions [du Conseil] sont adoptées »2Traduction par nos soins  “the Internet in Europe will never recover if these proposals are adopted.”. En outre, de telles dispositions pourraient garantir la prédominance des plateformes américaines en Europe.

La Quadrature du Net appelle les États membres à respecter les citoyens européens en donnant des outils législatifs leur garantissant l’accès à Internet, sans discrimination aucune, et en acceptant les propositions initiales du Parlement européen, qui proposaient un équilibre entre la protection des droits et libertés des utilisateurs d’une part et l’innovation et la libre concurrence d’autre part.

Alors que l’Europe risque de voir ses institutions démocratiques fragiles s’effondrer, le Parlement européen a des responsabilités encore accrues à l’égard de tous les citoyens. La Quadrature du Net appelle le Parlement européen à rester fidèle à son vote d’avril 2014 et à rester très ferme sur les dispositions favorables à la préservation d’un Internet neutre, démocratique et innovant.

« Le Conseil ne peut continuer ainsi à bafouer les droits et libertés des citoyens. Ses tentatives de faire porter au Parlement européen la responsabilité d’un échec des négociations ne permettront pas de le dédouaner de sa propre incapacité à porter les valeurs démocratiques européennes et à défendre les droits fondamentaux des citoyens » déclare Agnès de Cornulier, coordinatrice de l’analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.

Notre analyse sur le wiki de La Quadrature du Net

Principaux problèmes dans le document actuel

  • Article 1 : Dans les objectifs du règlement, le Conseil retire toute référence à la « préservation des droits des utilisateurs finaux » et au « traitement non-discriminatoire du trafic » alors que cela devrait apparaître comme un des grands principes de la régulation. Le Parlement dans sa dernière proposition tente de maintenir cette disposition.
  • Article 2 : le Conseil retire la définition de la neutralité du Net et toute référence à celle-ci dans les articles suivants. Un « Internet ouvert » (art. 1) ne garantit pas la transparence et les mesures non-discriminatoires.
  • Le Conseil a aussi retiré la définition sur « services spécialisés » (qui s’éloignent du principe du « best effort » et reposent sur une qualité de service optimisée pour un type d’application donné). Cet article conserve l’interdiction de discrimination entre des services et des applications fonctionnellement équivalents. Ceci est une mesure clef afin d’éviter une discrimination des PMEs et d’assurer une concurrence équitable au sein de l’UE même si les opérateurs télécom décident de proposer un accès en ligne via ces services spécialisés. Le Parlement pourrait accepter une nouvelle définition moins restrictives, et donc moins protectrice pour les utilisateurs et PMEs.
  • L’article 3-2 permet aux fournisseurs d’accès Internet de conclure des accords spécifiques avec les utilisateurs finaux, accords qui pourraient mener à des pratiques discriminatoires quant aux tarifs, donc contrevenant à la neutralité du Net : c’est le cas par exemple des services zero rating qui mettent en place une discrimination entre les contenus en ligne et peuvent avantager les plateformes dominantes sur la concurrence. Le Parlement européen cherche à maintenir l’exigence de non discrimination.
  • L’article 3-3 sur les mesures de gestion du trafic ne protège pas les utilisateurs d’accords contrevenant à leurs droits. Il pourrait aussi conduire les fournisseurs d’accès à agir sur le contenu au moyen de l’inspection profonde des paquets (Deep Packet Inspection (DPI)), et non plus sur le seul réseau. Le Parlement européen tente d’ajouter une disposition interdisant aux Fournisseurs d’accès Internet d’analyser le contenu des paquets. En revanche, le considérant 8a autorise les techniques de compression qui de facto portent atteinte au contenu.

References

References
1 Procédure législative à huis-clos où le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne tentent d’arriver à un accord sur un texte.
2 Traduction par nos soins  “the Internet in Europe will never recover if these proposals are adopted.”