[FranceCulture] Angela Merkel : pas de nez mais de grandes oreilles

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Des révélations sur l’espionnage supposé depuis 2008 de firmes européennes par le renseignement allemand pour le compte de la NSA embarrassent le gouvernement de la chancelière Angela Merkel, qui s’est toujours posé en victime de ses alliés américains.[…]

Émission Revue de presse internationale diffusée sur France Culture le 30 avril 2015.


http://www.franceculture.fr/emission-revue-de-presse-internationale-angela-merkel-pas-de-nez-mais-de-grandes-oreilles-2015-04-30


Depuis quelques jours, plusieurs révélations de la presse allemande jettent un regard nouveau sur le scandale de la NSA, révélé en 2013. A l’époque, Angela Merkel qui se présentait en victime des services de renseignement américains avait déclaré : « L’espionnage entre amis, ça ne se fait pas ». Elle dont même le téléphone portable, disait-on, avait été espionné attendait, d’ailleurs, des excuses de Washington.

Or selon le quotidien BILD, qui a eu accès à des documents de la commission d’enquête parlementaire du Bundestag, il ressort que la Chancellerie savait depuis 2008 que les Américains se livraient à de l’espionnage industriel en République fédérale. Mais mieux encore, selon l’édition en ligne de son confrère DER SPIEGEL, l’Allemagne qui se présentait en victime collaborait, en réalité, elle-même à l’espionnage industriel au profit des Etats-Unis. Le BND (le service du renseignement allemand) alimentait, en effet, la NSA en informations secrètes. Plus précisément, la NSA aurait fourni au BND des adresses mail et des numéros de téléphones portables, qui auraient ainsi été espionnés par les Allemands, pour le compte des Américains.

Pourquoi ? Pour la BILD, Berlin aurait choisi de taire l’affaire pour ne pas compromettre la coopération avec la NSA, essentielle notamment dans la lutte contre le terrorisme. Et de fait, un petit rappel s’impose, précise LE TEMPS de Genève. Le 11 septembre 2001, les attentats aux Etats-Unis provoquent une onde de choc en Allemagne, lorsqu’il apparaît que les terroristes ont préparé leur action depuis Hambourg. Et c’est ainsi qu’en 2002, Berlin et Washington négocient un accord de coopération en matière de renseignement, afin de lutter contre le terrorisme. La NSA peut compter sur l’aide du BND et s’engage alors formellement à respecter le droit allemand. Sauf que la NSA a visiblement abusé de cet accord. Ou dit autrement, selon la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, le BND s’est laissé abuser et tromper. Car loin de se contenter de demander des informations liées au terrorisme, les Américains ont multiplié les requêtes, si nombreuses (on parle de plusieurs millions) que les Allemands ne les filtraient plus que de façon automatique.

Et puis en 2008, les services allemands commencent à s’étonner de certaines questions américaines, comme celles concernant EADS ou Eurocopter, qui relèvent visiblement plus de l’espionnage industriel, que de la lutte antiterroriste. Or il est improbable et il serait totalement inhabituel, que le chef des services de la Chancellerie n’ait pas été informé à l’époque de tels agissements, précise au journal un membre de la commission d’enquête. La BILD assure d’ailleurs avoir eu accès à deux documents, envoyés par le BND à la Chancellerie, en 2008 et 2010, informant effectivement le gouvernement de l’espionnage économique pratiqué par la NSA.

En d’autres termes, lorsqu’a éclaté le scandale de la NSA, non seulement Berlin était au courant de longue date, mais la question aujourd’hui est de savoir si les services allemands ont qui plus est délibérément espionné leurs partenaires européens ou s’ils se sont fait manipuler ? Que savait la Chancellerie ? Qui de l’entourage direct de la chancelière était au courant, et à partir de quand ?

Sur la défensive, les services d’Angela Merkel évoquent aujourd’hui « des déficits techniques et organisationnels au sein du BND ». Une porte-parole du gouvernement a également promis des changements dans l’organisation du renseignement allemand mais rejette, en revanche, toute discussion sur d’éventuelles sanctions.

Sauf que le dossier reste sensible et plus encore, sans doute, en Allemagne où les pratiques de la Stasi à l’égard de la RFA, rappelle à nouveau LE TEMPS, ont provoqué un profond traumatisme dans la classe politique mais aussi dans les milieux d’affaires. Même le SPD, allié à la CDU au sein de la coalition au pouvoir, s’est ému du scandale. Les milieux d’affaires sont eux aussi choqués. Les relations entre Etat et milieux industriels sont à présent empoisonnées par une rupture de confiance, assure notamment le président de la fédération allemande de l’industrie, qui réclame un contrôle efficace de l’activité des services de renseignement.

Sans compter que les nouvelles révélations ce matin dans le grand quotidien de Munich SÜDDEUTSCHE ZEITUNG risquent de ne rien arranger : On y apprend, en effet, que les services de renseignement allemands, déjà mis en cause pour avoir espionné des entreprises européennes, auraient également surveillé de hauts fonctionnaires européens, pour le compte des américains. Les services de renseignement allemands ont aidé la NSA à faire de l’espionnage politique, écrit le journal, précisant que des écoutes de hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères français, de l’Elysée et de la Commission européenne ont été réalisées dans une station d’écoutes bavaroise.

Or si dans le cas de la surveillance d’entreprises, l’espionnage industriel n’a pu avoir lieu que dans des cas isolés, souligne le journal, qui précise notamment que les Etats-Unis cherchaient à l’époque des informations sur des exportations illégales, en revanche, le cœur du problème est bien l’espionnage politique de nos voisins européens et des institutions de l’Union européenne.

En déplacement à Varsovie lundi dernier, la chancelière n’a pas pu, évidemment, échapper à la question. Réponse d’Angela Merkel : Il faut que toute la lumière soit faite. Gageons qu’avec des services de renseignements aussi performants, on y parvienne.

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