Directive Radio – Lettre ouverte à Bercy et à l’Arcep

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Paris, le 6 avril 2016 — La directive relative à l’harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d’équipements radioélectriques (ou directive radio) a été adoptée en avril 2014, avec pour objectif d’améliorer la gestion du spectre radio. Elle doit être transposée et mise en œuvre dans les États membres avant le 12 juin 2016. Quoique poursuivant des objectifs louables, elle impose des critères de conformité pour les logiciels installés sur les équipements radios et constitue une menace inédite pour l’utilisation des logiciels libres. Dangereuse pour l’innovation et les droits des utilisateurs, elle crée une formidable insécurité juridique pour les associations qui, aux quatre coins du territoire, développent des réseaux Internet citoyens sans-fil. Alors qu’il travaille à la transposition de ce texte, le gouvernement français doit d’urgence corriger le tir et garantir la liberté d’installation des logiciels libres sur les équipements radios.

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,

La transposition de la directive 2014/53/UE touche à sa fin et le gouvernement doit notamment prendre par ordonnance les mesures concernant l’évaluation de la conformité des logiciels, en application de l’article 3.3 (i) de la directive : Les équipements radioélectriques de certaines catégories ou classes sont construits de telle sorte qu’ils soient « compatibles avec certaines caractéristiques visant à garantir qu’un logiciel ne peut être installé sur un équipement radioélectrique que lorsque la conformité de la combinaison de l’équipement radioélectrique avec le logiciel est avérée. » Cet article implique que les fabricants d’appareils vérifient tous les logiciels pouvant être installés sur l’appareil et leur conformité aux réglementations radio applicables, comme par exemple la fréquence et la puissance du signal.

Cette mesure présente un certain nombre de dangers :

  • Elle amoindrira la liberté de choix de l’utilisateur. Si les fabricants doivent évaluer la conformité aux réglementations de tous les logiciels installés sur les équipements qu’ils produisent, ils seront immanquablement conduits à installer sur ces derniers des dispositifs de contrôle au travers de logiciels non libres et non amovibles. Il deviendra extrêmement difficile pour les utilisateurs et entreprises d’utiliser des logiciels alternatifs — autres que les logiciels natifs — sur les appareils achetés (routeurs, téléphones mobiles, cartes WIFI ou ordinateurs, et tous les appareils connectés). Or les logiciels alternatifs, y compris de nombreux logiciels libres, permettent souvent de répondre aux besoins techniques, normatifs ou légaux des utilisateurs, offrent généralement un plus grand nombre d’options et de fonctionnalités qui n’existent pas dans les logiciels propriétaires natifs. De très nombreux appareils utilisent des signaux radio et il est fondamental que les utilisateurs puissent continuer à utiliser les logiciels de leur choix.
  • Toute entrave à cette liberté de choix mettra en péril la sécurité des appareils qui ne pourront être ni maîtrisés, ni contrôlés par leurs utilisateurs. Et ce, alors que les logiciels libres offrent généralement un niveau de sécurité supérieur, notamment parce que les failles et erreurs techniques sont plus facilement détectées et réparées via des processus collaboratifs et transparents. Les règles draconiennes sur les logiciels installés sur des équipements radio électriques de faible puissance, telles que celles prévues dans la directive, ne sont pas strictement nécessaires et apparaissent complètement disproportionnées au regard de l’atteinte portée à la liberté des utilisateurs.
  • De nombreuses entreprises et acteurs de l’écosystème numérique utilisent des logiciels libres pour développer leurs produits, y compris des fournisseurs de réseau sans-fil, des créateurs de systèmes d’exploitation, etc. Le fait de limiter le choix de ces acteurs risque d’entraver le développement économique et leur capacité d’innovation. En outre, en intégrant des parties de logiciels propriétaires non compatibles avec la licence GNU GPL (General public Licence), les fabricants enfreindraient potentiellement cette licence et se verraient alors obligés d’utiliser uniquement des logiciels propriétaires et fermés, ce qui entraverait l’utilisation de code libre au sein des logiciels intégrés de leurs équipements et conduirait à une augmentation considérable des coûts et délais de développement.
  • En France et en Europe, de nombreux acteurs (notamment associatifs) développent des réseaux Internet sans-fil, contribuant ainsi à réduire la fracture numérique et à encourager l’appropriation citoyenne des réseaux et services Internet. Or, pour ce faire, ils ont besoin d’installer sur les équipements radios qui composent leur infrastructure des logiciels libres ad hoc, développés spécialement pour répondre à leurs besoins. Si l’article 3.3 était transposé en l’état, il porterait un coup fatal à ces initiatives que les pouvoirs publics ont pourtant le devoir d’encourager, tant elles contribuent à la poursuite de l’intérêt général dans le champ des télécommunications.

Pour ces raisons, dans le cadre de la transposition de la directive radio, nous appelons le Gouvernement et l’ARCEP à inscrire dans le droit français le considérant 19 de la directive. Ce dernier constitue en effet un garde-fou fondamental, puisqu’il garantit que « l’établissement de la conformité de la combinaison d’un équipement radioélectrique avec un logiciel ne [serve] pas de prétexte pour empêcher l’utilisation de cet équipement avec d’autres logiciels réalisés par des tiers indépendants. (…)  ». Ce considérant est absolument nécessaire pour garantir l’ouverture des équipements radio et permettre l’innovation dans le domaine des télécommunications sans-fil.

En restant à votre disposition,
APRIL, French Data Network, Fédération FDN, Free Software Foundation Europe, La Quadrature du Net

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