Réforme du droit d’auteur : la Commission européenne pouvait-elle faire pire ?

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Paris, le 2 septembre 2016 —  Une étude d’impact et un projet de directive européenne ont fuité ces jours derniers, qui révèlent les intentions de la Commission européenne en matière de révision du droit d’auteur. Après des années de tergiversations, la Commission reste enfermée dans une conception du droit d’auteur centrée sur la défense des industries culturelles. Ses propositions sont toujours largement décalées par rapport aux besoins d’adaptation aux pratiques numériques et elles recèlent même plusieurs menaces préoccupantes.

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Quatre années ont passé depuis le rejet de l’accord ACTA suite à un vote historique du Parlement européen, mais les projets de réforme de la Commission restent invariablement centrés sur une vision dépassée du droit d’auteur, ignorante des attentes exprimées à plusieurs reprises par des centaines de milliers d’européens. Les documents qui ont fuité ces dernières semaines ressemblent encore une fois à un catalogue de mesures poussées par le lobby des industries culturelles.

La proposition la plus caricaturale est celle de créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse, censé leur permettre d’obtenir une meilleure position face aux moteurs de recherche et autres agrégateurs de nouvelles. Cette approche a déjà été tentée en Allemagne et en Espagne, avec des résultats désastreux, mais la Commission persiste dans cette voie et va même encore plus loin avec un droit d’une durée de 20 ans, applicable au-delà des seuls moteurs de recherche, avec des interférences probables sur la liberté de faire des liens hypertexte.

Une même logique délétère est à l’œuvre en ce qui concerne le « partage de la valeur » entre les ayants droit et les grandes plateformes. La Commission n’est pas allée jusqu’à remettre directement en cause le régime de responsabilité des hébergeurs prévu par la directive eCommerce de 2000, vieille obsession des ayants droit. Mais elle prévoit que les plateformes susceptibles de diffuser des contenus sous droits postés par leurs utilisateurs devront chercher à conclure des accords avec les titulaires de droits pour améliorer la rémunération et mettre en place des systèmes pour éviter les infractions. Or ce faisant, la Commission pousse à la généralisation de solutions de filtrage automatisé des contenus, telles qu’on peut déjà les voir à l’œuvre sur Youtube ou Facebook. Ces accords, qui resteront nécessairement opaques, achèveront de transformer ces intermédiaires en une « police privée du droit d’auteur », comme la Quadrature du Net le dénonce depuis des années.

La Commission a néanmoins laissé sur sa feuille de route quelques exceptions au droit d’auteur, qu’elle entend rendre obligatoires pour les États membres. Ces dispositions concernent la copie pour conservation dans les institutions patrimoniales, la fouille de textes et de données (Text and Data Mining) ou l’usage de contenus à des fins pédagogique et de recherche, y compris sur Internet. On peut se réjouir de voir la Commission s’emparer enfin de ces questions, qui ont fait l’objet d’une campagne de dénigrement sans précédent de la part des ayants droit. Mais même sur ces sujets, les propositions de la Commission restent très largement en-deça des attentes des utilisateurs. Pour l’exception pédagogique, elle prévoit par exemple une clause que les États pourront faire jouer pour faire prévaloir des licences sur la loi, ce qui équivaudrait à une régression pour un pays comme la France.

Mais surtout, ces maigres éléments « positifs » sont très inférieurs aux propositions du Rapport Reda, lui-même déjà fruit de nombreux compromis. La liberté de panorama, soutenue par un demi-million d’européens, est ainsi évacuée et renvoyée au bon vouloir des États-membres. Rien n’a été retenu sur le prêt de livres numériques en bibliothèque, alors que le Parlement européen avait invité la Commission à se saisir de cette question. Et ne parlons même pas des vraies questions posées par le numérique pour la création : le partage des œuvres, les usages transformatifs (citation audiovisuelle, remix, mashup, fanart, etc), toujours obstinément ignorés par la Commission, alors qu’ils constituent la réalité des pratiques culturelles de millions d’européens.

Que les auteurs ne s’y trompent pas : ces orientations ne sont pas destinées à améliorer leur condition. Les seules mesures en faveur de la rémunération des auteurs figurant dans le projet de directive demeurent vagues et peu contraignantes pour les producteurs et éditeurs. Pire, en ouvrant la boîte de Pandore d’un droit voisin pour les éditeurs, la Commission introduit un risque majeur de fragilisation des auteurs. Pour contrer la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, elle va même jusqu’à prévoir un partage complètement illégitime de la rémunération des exceptions entre auteurs et éditeurs !

La Quadrature du Net s’opposera aux dérives figurant dans ces propositions, au nom de la défense des libertés dans l’environnement numérique. Elle mettra en parallèle l’accent sur un travail de fond, conduit directement avec les auteurs et les créateurs pour les aider à mieux faire valoir leurs droits, à expérimenter de nouveaux modèles de diffusion de leurs œuvres et de nouvelles pistes pour un financement durable de la création.

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