Démontage des mensonges de la Commission européenne sur ACTA

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Paris, 30 janvier 2012 – La Commission européenne a lancé une offensive tous azimuts pour présenter ACTA comme un banal accord commercial, inoffensif pour les droits fondamentaux et l’accès aux savoirs. Dans plusieurs documents, la Commission tente d’imposer l’ACTA au Parlement européen en balayant les critiques légitimes qui s’expriment à son encontre. Mais ces tromperies ne résistent pas à l’analyse.

Alors que la branche exécutive de l’UE (Commission européenne et les gouvernements de 22 États Membres) a officiellement signé ACTA1https://www.laquadrature.net/fr/acta-sign-par-lue-ensemble-nous-devons-le-vaincre, la voie est ouverte à son examen par le Parlement européen. Ses 754 membres ont au cours d’un processus qui durera plusieurs mois, l’occasion d’accepter ou de rejeter ACTA.

Les membres du Parlement européen sont déjà soumis à de fortes pressions, non seulement des lobbyistes des industries du copyright mais aussi de la direction « commerce international » de la Commission européenne2La direction générale du « commerce international » et son commissaire, Karel De Gucht, sont responsables d’ACTA au sein de la Commission. qui a négocié l’ACTA en toute opacité durant plus de trois ans. Les citoyens doivent contacter les membres du Parlement européen et dénoncer les mensonges révoltants de la Commission, afin de s’assurer que les valeurs démocratiques de l’UE soient respectées. Les eurodéputés doivent s’engager à travailler en commission parlementaire afin d’obtenir le rejet de l’ACTA.

« La Commission européenne ment éhontément aux eurodéputés en présentant ACTA comme un accord acceptable. En signant ACTA avec les États Membres de l’UE, la Commission européenne a fait fi des critiques légitimes de milliers de citoyens européens qui ont manifesté ces derniers jours contre ACTA. Les citoyens doivent contacter leurs élus pour rétablir la vérité : ACTA est un contournement de la démocratie et attaque les libertés pour tenter de protéger les modèles économiques dépassés d’industries de rentes. » déclare Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net.

Téléchargez notre analyse exposant les mensonges de la Commission européenne sur ACTA.

Defeat ACTA!

ACTA est pire que SOPA


Sur son site, la Commission européenne prétend qu’ACTA « n’est pas SOPA ». C’est exact. Pour plusieurs raisons importantes, ACTA est pire que SOPA. ACTA est un cadre général pour de futures lois répressives comme SOPA :

  • ACTA a inspiré SOPA/PIPA aux États-Unis. Alors que SOPA a été écartée pour le moment, ACTA est un accord global négocié en dehors des processus démocratiques et est destiné à être appliqué au niveau global. De plus, si SOPA avait été adoptée, le Congrès des États-Unis aurait pu l’amender ou l’abroger plus tard . ACTA empêchera l’Union européenne et ses États membres, ainsi que les autres signataires, de changer leurs lois sur le droit d’auteur et les brevets. L’accord les empêchera aussi de modifier leurs politiques d’application brutales et inadaptées, lorsqu’ils souhaiteront s’adapter à la nouvelle économie du partage.
  • Si ACTA est adopté, il sera possible pour les industries du divertissement d’exercer des pressions sur chaque acteur de l’Internet sous la menace de sanctions pénales (art.23). Les intermédiaires seront donc obligés de déployer (art.27) une censure automatique, de filtrer des communications et de supprimer des contenus en ligne. De telles mesures vont inévitablement restreindre les libertés en ligne des usagers.
  • L’appel d’ACTA à une « coopération » entre ayants-droit et fournisseurs de services Internet est aussi défendu par la Commission européenne comme des « mesures extra-judiciaires » et une « alternative aux tribunaux ». Cela signifie que les missions de police (surveillance et collecte de preuves) et de justice (sanctions) pourront être gérées par des acteurs privés, outrepassant l’autorité judiciaire et le droit à un procès équitable. En défendant dans l’ACTA cette politique similaire à celle de SOPA, la Commission ouvre la voie à la mise en œuvre du programme en matière d’exécution du copyright poussé par les industries du divertissement, empêchant un vrai débat sur une alternative à la répression. Ceci coïncide avec l’annonce de la révision des directives IPRED et eCommerce.

Voir aussi l’analyse par La Quadrature du Net du texte final du chapitre numérique d’ACTA.

Démontage de la fiche d’« information » de la Commission européenne sur ACTA


Dans un document publié sur son site et distribué aux parlementaires européens, la Commission propage de nouveaux mensonges sur ACTA.
Vous pouvez télécharger l’analyse suivante en PDF (en anglais)3http://www.laquadrature.net/files/Debunking_the_EU_Commissions_fact-sheet_on_ACTA.pdf.

1. « ACTA est important pour la compétitivité extérieure de l’UE, la croissance et l’emploi, ainsi que pour la sécurité des citoyens »

  • ACTA est un sous-produit direct de l’offensive lobbyiste lancée en 2004 par la Chambre de Commerce Internationale, présidée par Jean-René Fourtou alors PD-G de Vivendi-Universal, initiateur de l’Action contre la contrefaçon et le piratage (Business Action to Stop Counterfeiting and Piracy, BASCAP), et dont la femme était la rapporteure au Parlement européen pour la directive Intellectual Property Rights Enforcement (directive IPRED) adoptée la même année. C’est un des pires exemples de récupération par des intérêts privés du processus d’élaboration des lois et politiques.
  • ACTA a peut-être été négocié comme les autres accords commerciaux, mais il ne s’agit pas d’un simple accord commercial sur les tarifs douaniers. ACTA généralise les sanctions civiles disproportionnées et élargit le champ des sanctions pénales.
  • Lier l’UE à ces modèles dépassés, et déployer des mécanismes pouvant être utilisés comme des armes anti-concurrence, ne fera qu’entraver l’innovation, la compétitivité et la croissance. Non seulement dans le cadre de l’économie numérique, mais également dans d’autres domaines dépendant du libre partage de la connaissance, comme l’agriculture ou la santé.
  • Il n’y a jamais eu aucune évaluation d’impact sur le besoin d’un tel accord plurilatéral. La Commission n’a jamais prouvé que des standards d’application plus sévères au niveau mondial iraient dans le sens de l’intérêt public européen, et encore moins dans celui du reste du monde.
  • Plutôt que d’imposer ACTA aux pays en développement, l’Union européenne devrait urgemment examiner les conséquences à long terme de ses politiques actuelles (EUCD, IPRED) concernant l’innovation, l’accès à la culture et aux droits fondamentaux, et les réformer afin de mettre en place les bases d’une véritable économie basée sur la connaissance.
  • Contrairement aux affirmations de la Commission, la transparence sur ACTA a seulement été rendue possible suite à la divulgation de documents de négociation par des sources internes, inquiètes des conséquences d’ACTA. Ces fuites ont forcé les négociateurs à publier les textes au printemps 2010, plus de trois ans après le début des négociations.
  • La négociation et l’application d’ACTA contournent les institutions internationales légitimes (OMC, OMPI) où les politiques sur le droit d’auteur, les brevets et les licences sont débattues. Ceci est d’autant plus inacceptable qu’un nombre croissant de pays comprennent l’importance de réformer ces politiques en s’éloignant de la répression aveugle.

2. « ACTA est un accord équilibré, fournissant une protection adéquate aux secteurs qui en ont besoin, tout en sauvegardant les droits des citoyens et consommateurs. »

  • Les garanties dans le texte sont purement génériques et déclaratives, situées principalement dans les parties générales de l’accord, alors que les dispositions d’application, la plupart du temps formulées vaguement, sont légalement contraignantes pour les signataires. Par exemple, une étude des experts juridiques Kroff and Brown souligne qu’ACTA « durcit globalement de façon significative les mesures d’application (et particulièrement les mesures pénales), sans aucune des sauvegardes et exceptions nécessaires pour garantir un équilibre entre les intérêts des ayants droit et ceux du public. »
  • La Commission déclare qu’ACTA ne va pas au-delà pas de l’acquis européen4L’état actuel du droit européen., mais d’éminents spécialistes européens du droit ont mis en évidence que c’est le cas sur certains points : en particulier sur les mesures pénales, pour lesquelles il n’y a pas d’acquis européen, et sur les mesures et dommages frontaliers.
  • La formulation d’ACTA n’est peut-être pas contraire à la directive eCommerce, l’EUCD ou l’IPRED, mais elle les renforce et empêche les législateurs européens de les amender sur des points cruciaux.
  • La logique générale du chapitre numérique d’ACTA ouvre la voie à des mesures extra-judiciaires, semblables à celles de SOPA et PIPA, par lesquelles les ayants droit et les FAI ou prestataires de paiement « coopéreraient » pour prendre des « mesures » contre des infractions présumées, mesures qui ne pourraient qu’invariablement aboutir à des mécanismes de censure, contournant les procédures réglementaires et le droit à un procès équitable.
  • Cette lecture est renforcée par les sanctions pénales prévues pour « complicité » d’infractions (art. 23.4). Ces inquiétudes sont également accentuées par la stratégie IPR (« Droits de Propriété Intellectuelle ») et le remodelage actuel de l’IPRED et de la directive eCommerce.

3. « ACTA permet d’appliquer de façon adéquate les droits de propriété intellectuelle existants, mais ne crée pas de nouveaux droits »

  • ACTA modifie l’étendue des sanctions pénales dans les pays membres de l’EU, faisant en sorte qu’elles soient appliquées dans les cas d’infractions « à échelle commerciale », définie comme « un avantage économique ou commercial direct ou indirect » (art 23.1). Ce terme est vague, sujet à interprétation, et tout simplement injustifiable lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue d’une application proportionnelle, puisqu’il ne fait pas de distinction entre les infractions commerciales et celles sans but lucratif. Des pratiques sociales répandues, telles que le partage de fichier non-marchand entre individus, de même que l’édition de contenus sur un site d’information populaire ou la distribution d’outils technologiques innovants, pourraient être interprétés comme « à échelle commerciale ».
  • En étendant la portée des sanctions pénales pour « complicité » à de telles « infractions à échelle commerciale », ACTA créera des outils juridiques menaçant tout acteur d’internet. Les fournisseurs d’accès, de service ou d’hébergement seront donc victimes d’une insécurité juridique majeur, les rendant vulnérables aux contentieux des industries du divertissement.
  • La Présidence du Conseil de l’Europe (représentant les 27 gouvernements des Etats Membres) a dû négocier ACTA conjointement avec la Commission. La Présidence a négocié le chapitre « sanctions pénales » d’ACTA, qui n’a pu être négociée par la Commission, le droit pénal faisant partie des attributions des États Membres. Ceci illustre le fait qu’il n’y a pas d’acquis européen sur les sanctions pénales et prouve qu’ACTA change effectivement le droit européen.
  • Outre l’élargissement de l’étendue d’application des droits d’auteur, brevets et licences, ACTA établit de nouvelles règles de procédure favorables aux industries du divertissement. Ces procédures auront un effet paralysant dramatique sur les innovateurs et créateurs potentiels, particulièrement si l’on considère les clauses de dommages et intérêts insensées de l’ACTA (lors d’un procès, les ayants droit pourront choisir et soumettre leurs propres méthodes d’estimation des dommages causés, voir art. 9.1).
  • À l’avenir, la portée d’ACTA pourrait également être aisément étendue à travers le « comité ACTA ». Celui-ci aura toute autorité pour interpréter et modifier l’accord après sa ratification, et proposer des amendements. Un tel procédé législatif parallèle, qui revient à donner carte blanche aux négociateurs d’ACTA, créerait un précédent au contournement durable des parlements dans l’élaboration de politiques cruciales, et est inacceptable en démocratie. Ce seul fait justifie le rejet d’ACTA.

4. « ACTA a une portée étendue, pour protéger tous les créateurs et innovateurs européens, à travers une large gamme de moyens. »

  • La Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil, pays où l’essentiel de la contrefaçon se produit, ne font pas partie d’ACTA, et ont déclaré publiquement qu’ils ne le seront jamais. Compte-tenu de l’opposition généralisée à ACTA, l’accord a perdu toute légitimité sur la scène internationale.
  • Encore une fois, la Commission n’a même pas été capable de prouver le besoin de nouvelles mesures d’application, ni que les mesures prévues par les accords TRIPS ne sont pas suffisantes.
  • La Commission continue d’intensifier la répression, alors que dans de nombreux cas l’origine de la contrefaçon est fondamentalement une carence du marché, dû à l’inadéquation des modèles et contrats commerciaux des ayants droits. Parallèlement, il n’existe aucune initiative de la Commission européenne développant une approche positive, afin d’envisager de nouveaux modèles finançant la culture dans l’environnement numérique.
  • Les indications géographiques, qui sont au cœur des petites entreprises européennes et de l’héritage culturel, sont quasiment inexistantes dans ACTA. Les rares références géographiques présentes n’auront que peu ou aucun impact dans les lois nationales des pays non européens.
Contactez les parlementaires européens, et assurez-vous qu’ils sachent vraiment ce qu’est ACTA. Visitez notre page de campagne dédiée.

La FFII a également initié une réponse détaillée à un autre document de la commission européenne sur ACTA, appelée « 10 mythes à propos d’ACTA ».

References

References
1 https://www.laquadrature.net/fr/acta-sign-par-lue-ensemble-nous-devons-le-vaincre
2 La direction générale du « commerce international » et son commissaire, Karel De Gucht, sont responsables d’ACTA au sein de la Commission.
3 http://www.laquadrature.net/files/Debunking_the_EU_Commissions_fact-sheet_on_ACTA.pdf
4 L’état actuel du droit européen.