Au Sénat, la lutte contre les discriminations ne doit pas être instrumentalisée contre l’État de droit

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Paris, 25 mars 2014 — Le 9 avril prochain, la commission des lois du Sénat examinera en seconde lecture son rapport sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Après un premier passage dans chacune des deux chambres du Parlement, ce texte propose de déléguer au secteur privé la censure des propos sexistes, homophobes, transphobes et handiphobes diffusés sur l’Internet. La Quadrature du Net appelle les membres de cette commission à sauvegarder l’État de droit en mettant un frein à la censure privée tout en donnant aux autorités publiques les moyens d’agir contre les abus auxquels le texte entend s’attaquer.

Najat Vallaud-Belkacem à l'Assemblée nationale
Najat Vallaud-Belkacem

La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), adoptée en 2004, oblige les hébergeurs à permettre aux internautes de leur signaler facilement les contenus relevant de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale, de la représentation de crime sexuel sur mineurs, de l’incitation à la violence – notamment de la violence faite aux femmes – ou des atteintes à la dignité humaine. L’article 17 du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, examiné par le Parlement depuis septembre 2013, ajoute à cette liste les contenus incitant à la haine en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou d’un handicap.

Or, la jurisprudence du régime des hébergeurs a par ailleurs évolué depuis 2004 afin d’inciter ces derniers à supprimer tout contenu potentiellement illicite qui leur aurait été signalé afin d’éviter tout risque juridique. Cette évolution aboutit à l’encouragement de la censure privée, sans qu’aucune intervention d’un juge ne soit prévue, et mène à la censure de contenus pourtant parfaitement licites1Voir par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 avril 2013, Rose B. c/ JFG Networks.. L’élargissement du dispositif de signalement risque donc d’encourager encore davantage ce type de dérives.

Plutôt que de mettre directement à la charge des pouvoirs publics la lutte contre les propos haineux diffusés sur Internet à l’encontre des femmes et des minorités, le gouvernement semble préférer, par ce projet de loi, déléguer cette mission à des acteurs privés, sans se soucier du respect de la liberté d’expression et du droit au procès équitable. Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, a dès lors beau jeu de déclarer vouloir faire en sorte « qu’internet ne soit pas une zone de non-droit en matière de racisme et d’antisémitisme, ni de sexisme, d’homophobie ou d’handiphobie » alors qu’elle-même défend des mesures qui mettent à mal l’État de droit.

En prévision du vote du 9 avril2La commission des lois du Sénat examinera le 9 avril son rapport sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, avant l’examen du texte en séance plénière prévu pour le 17 avril., La Quadrature du Net invite donc les membres de la commission des lois du Sénat à renoncer à faire des hébergeurs une police privée en amendant ce projet de loi afin de replacer les autorités publiques au cœur des systèmes de signalement. À cet égard, il est regrettable que la plate-forme PHAROS3Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements (PHAROS), créée à cet effet, soit largement sous-exploitée et honteusement sous-dotée pour mener à bien ses missions : elle ne dispose en effet que d’une dizaine d’agents de la police et de la gendarmerie pour traiter près de 130 000 signalements par an.

« Ce projet de loi, de même que la proposition de loi dite « contre le système prostitutionnel« , tend à aggraver la privatisation de la censure sur Internet, symptomatique de la fuite en avant du gouvernement sur la question de la liberté d’expression sur Internet. Plutôt que de lutter efficacement contre l’intolérance en donnant les moyens adéquats à la justice, il préfère s’en tenir à l’affichage politique en stigmatisant Internet et en bafouant les libertés fondamentales. Citoyens et associations doivent faire entendre leur voix et refuser une telle instrumentalisation de la lutte contre les discriminations qui conduit à mettre en cause des principes fondamentaux de l’État de droit et de la démocratie » déclare Félix Tréguer, co-fondateur de La Quadrature du Net.

Voir aussi : La liberté d’expression sur Internet, envers et contre la haine

References

References
1 Voir par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 avril 2013, Rose B. c/ JFG Networks.
2 La commission des lois du Sénat examinera le 9 avril son rapport sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, avant l’examen du texte en séance plénière prévu pour le 17 avril.
3 Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements (PHAROS)

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