Sale (prin)temps pour les libertés

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Paris, le 27 mai 2016 — La Quadrature du Net publie ici un communiqué du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des Avocats de France, de La Quadrature du Net, du Cecil et de Creis-Terminal, membres de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN).

Sale (prin)temps pour les libertés. Une troisième prorogation de l’état d’urgence a été adoptée le 19 mai sans vrai débat, comme par fatalisme, au nom de la sécurisation de l’Euro de football et du Tour de France. Parallèlement, la loi sur la réforme pénale et la lutte antiterroriste votée en mai introduit dans le droit de nombreuses prérogatives de l’état d’urgence, installant les principes de l’état d’urgence permanent et de la régression des droits.

L’expérience d’un semestre sous cet état d’exception aurait dû finir de convaincre les élus que l’état d’urgence est tout aussi inutile à la lutte contre le terrorisme – qui nécessite en réalité de minutieuses enquêtes judiciaires sur ces réseaux criminels – que dangereux pour les libertés. Les chiffres parlent pourtant d’eux-mêmes : fondées sur des vagues suspicions, et des dénonciations conduisant à confondre pratiques religieuses strictes et action criminelle, les perquisitions et les assignations ordonnées en nombre – près de 4 000 pour les perquisitions – n’ont accouché que de six enquêtes proprement anti-terroristes. Signe du danger que fait peser l’état d’urgence sur nos libertés, les perquisitions informatiques ont été censurées par le conseil constitutionnel, sans pour autant que l’ensemble de l’édifice juridique de l’état d’urgence ne soit remis en cause profondément par des parlementaires mis sous pression par le gouvernement au nom du risque terroriste.

Stigmatisant les musulmans de notre pays d’un côté, ces outils servent de l’autre à museler les expressions politiques, de la COP 21 à la mobilisation contre le projet de loi de travail, par des interdictions de manifestations, des assignations à résidence ou des interdictions de paraître à l’encontre de militants. Les – de moins en moins – rares annulations contentieuses ne suffisent pas à garantir nos libertés, ne serait-ce que parce qu’elles interviennent après coup. Ce dont notre démocratie a besoin, c’est de la levée de l’état d’urgence.

Présentée par le gouvernement de Manuel Valls comme une condition de sortie de l’état d’urgence, la loi de réforme pénale et contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement vient d’être adoptée au Parlement. L’apnée sécuritaire se poursuit.

Cinquième texte anti-terroriste du quinquennat, cette loi introduit dans le droit commun des mécanismes directement inspirés de l’état d’urgence. Assignation administrative à résidence, extension des fouilles de bagage sans motif individualisé, retenue administrative de quatre heures sur des bases floues : l’exécutif et les services de police voient gonfler leurs pouvoirs, sans contrôle réel. La loi amplifie toujours plus le champ des techniques pénales de surveillance (IMSI catcher, captations de données, sonorisation…) dans un cadre procédural où le contrôle s’amoindrit et où le juge d’instruction est marginalisé.

La persistance dans l’erreur paye : la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, la surveillance et la fouille systématique des personnes détenues, l’intégration de l’administration pénitentiaire dans la communauté du renseignement aux pouvoirs exorbitants et la création du délit de consultation habituelle de sites faisant l’apologie du terrorisme ont finalement été votés. Repoussées pour certaines à de nombreuses reprises, ces dispositions nourrissent un arsenal antiterroriste qui inquiète jusqu’aux autorités onusiennes. Des alertes majeures et répétées que le gouvernement s’obstine à ignorer.

L’espace numérique continue à être l’objet d’atteintes aux droits fondamentaux : les dispositions de cette loi étendent les techniques intrusives confiées aux services de renseignement et votées en 2015 dans le domaine de la police judiciaire sans contrôle suffisant au regard de l’impact sur la vie privée de l’ensemble des citoyens dont les données personnelles et les communications privées seront prises dans la nasse de la surveillance policière.

Les organisations signataires continueront à se mobiliser pour dénoncer cette dérive massive de nos législations, qui sapent les fondements de notre démocratie au motif de la défendre.

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