Financement régional de drones policiers : l’Île-de-France dans l’embarras

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En début d’année, La Quadrature du Net s’associait aux élu·es de la région Île-de-France mobilisé·es contre le subventionnement illégal de drones municipaux par la région. Mise sous pression, la majorité régionale, embarrassée, commence à admettre l’illégalité de cette subvention, mais tente de gagner du temps.

Le 13 décembre dernier, le Conseil régional d’Île-de-France ouvrait les financements régionaux à l’équipement en drones des polices municipales. À la clé : 300 000 € à disposition des communes franciliennes qui voudraient équiper leurs polices municipales de drones de surveillance. Mais deux obstacles à cela : premièrement, une région n’est pas compétente pour subventionner l’équipement de police municipale car elle ne dispose d’aucun pouvoir en matière de sécurité ; deuxièmement, l’usage de drones par les forces de police municipale a été censuré par le Conseil Constitutionnel et la loi ne les autorise donc pas.

Si juridiquement cette subvention est entièrement illégale, la méthode politique pour la faire passer n’en est pas moins affolante, puisque la majorité régionale n’hésite pas à mentir, affirmant lors des débats sur le budget que de tels drones seraient légaux (alors qu’il n’en est rien, voir notre article).

Face à ce tour de force contraire aux libertés publiques et individuelles, La Quadrature du Net et le groupe de la Gauche Communiste, Écologiste et Citoyenne ont engagé une démarche commune et porté en début d’année un recours devant le tribunal administratif de Montreuil pour tenter de faire respecter l’État de droit.

La droite régionale divisée entre rétropédalage et maintien de ses mensonges

Plusieurs mois après la dénonciation de cette délibération illégale, l’exécutif régional se retrouve embarrassé. D’un côté, Frédéric Péchenard, le vice-président du Conseil régional chargé de la Sécurité et de l’Aide aux victimes, a admis publiquement en commission permanente que ces drones sont bien illégaux et que la région Île-de-France n’engagerait pas les fonds prévus. Mais, de l’autre côté, Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses et président du groupe régional majoritaire, maintenait ses mensonges en soutenant que le droit actuel autoriserait l’usage de drones par des polices municipales. Peut-être a-t-il oublié l’interdiction, par deux fois, des drones par le Conseil d’État, bien que les élu·es communistes le lui rappellent systématiquement (voir ici et )…

Quoiqu’il en soit, cette concession de l’exécutif de la région Île-de-France constitue bien une première victoire contre les projets sécuritaires de la droite régionale, très sensible aux lobbys de la Technopolice.

Nouvelle stratégie de la droite régionale : gagner du temps pour sauver son « bouclier de sécurité »

Derrière le financement des drones par la région Île-de-France se cache une autre bataille : celle du programme sécuritaire régional, le « bouclier de sécurité ». Depuis 2016 et l’arrivée de Mme Pécresse à la tête de la région, le Conseil régional finance massivement les équipements de polices municipales et autres programmes sécuritaires. Le financement des drones que nous avons attaqué n’est qu’un minuscule bout de cette technopolice francilienne : armes létales, vidéosurveillance dans les lycées ou encore centre de supervision XXL des caméras de vidéosurveillance.

Et ce recours dérange la région bien au-delà de la question des drones : nous avons mis en évidence l’incompétence d’une région pour financer des équipements de police municipale. Fin 2020, le tribunal administratif de Marseille avait déjà annulé une partie du budget de la région PACA en raison de cette incompétence. Le tribunal administratif de Montreuil pourrait faire de même et mettre fin au financement technopolicier régional, posant ainsi le principe, pour toutes les régions, qu’elles ne peuvent pas financer la Technopolice.

Le préfet de région ne s’était pas non plus trompé sur ce point : par un recours gracieux (c’est-à-dire adressé à la région et non à un tribunal) contre une autre partie de ce « bouclier de sécurité », il mettait en avant l’incompétence de la région pour financer l’équipement d’une police municipale (voir son recours gracieux).

À ce jour, la région n’a toujours pas défendu l’affaire des drones devant le tribunal administratif, c’est-à-dire qu’elle n’a pas répondu aux critiques que nous lui faisons, alors même qu’elle a déjà fait connaître sa position au préfet de région. Ainsi, la droite régionale gagne du temps, afin de retarder le moment où l’affaire sera jugée. Or, tant que l’incompétence de la région ne sera pas formellement affirmée par la justice, et bien que l’exécutif se soit engagé à ne pas utiliser les fonds alloués aux drones, l’ensemble du « bouclier de sécurité » restera en place.

Voilà le niveau de respect démocratique de la droite régionale : l’exécutif francilien sait que la région a prévu un financement de drones illégaux et l’admet, mais s’abstient de le dire au tribunal administratif pour retarder le moment où ce système sécuritaire devra être arrêté.

Ces dernières années, de plus en plus de pouvoirs sont offerts aux polices municipales, dans une logique toujours plus sécuritaire. Le « continuum de sécurité » théorisé par le ministère de l’Intérieur et dans lequel s’engouffre Mme Pécresse n’est qu’un appel du pied à la Technopolice, qui bénéficie alors de multiples financements. Ce recours contre les subventions de drones par la région Île-de-France aura permis de mettre en lumière des années d’illégalité de ces financements franciliens. Dans quelques semaines, La Quadrature lancera une nouvelle étape de lutte contre ces dérives sécuritaires en déposant, à l’occasion du festival Technopolice à Marseille qui se déroulera du 22 au 24 septembre prochains, une plainte collective contre la vidéosurveillance, le fichage et la reconnaissance faciale. Il est encore temps de signer la plainte et de participer à l’action collective !