Le mythe participatif de la Smart city et de sa surveillance

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La smart city en fait rêver certains. Les ingénieurs qui la convoitent parlent dorénavant d’une « citoyenneté augmentée ». Ce nouveau concept de la ville connectée et sûre aspire à ce que « les civic tech transforment le consommateur capté en citoyen capteur ». Cette citoyenneté augmentée permettrait une plus grande démocratie et ce, grâce aux nouvelles technologies et à leur injection dans l’aménagement urbain.

A travers cette obsession des industriels et des collectivités territoriales, c’est l’informatisation de la ville tout entière qui est brandie – sa connectivité, la multiplication des capteurs, l’analyse massive des données – et qui permettrait une émancipation de la population. En réalité, il n’en est rien : les technologies sont imposées à la population et celle-ci ne peut s’y opposer qu’à la marge.

L’un des arguments avancés pour justifier le déploiement de smart cities est l’opportunité d’une plus grande implication des citoyens et citoyennes, par le biais de ces nouvelles technologies. Ce serait notamment à travers les smartphones et autres capteurs que les habitants et habitantes auraient la possibilité de dialoguer numériquement avec la municipalité. C’est un des objectifs affichés de la métropole dijonnaise, qui permettrait : « une généralisation du processus de démocratie participative pour mieux impliquer les habitants dans la vie de la métropole ». Par exemple, à travers une application qui autoriserait les habitantes à être « actrices » de la ville en géolocalisant un dépôt d’ordures sauvage. Ces éléments de langage font partie de l’impératif délibératif, c’est-à-dire la tendance observée dans les pratiques politiques de prise de décision qui consiste à ancrer sa légitimité dans la délibération et dans la référence à une réflexion commune. Or, cette tendance à justifier la pertinence d’un projet politique à travers la « participation de la population » vise à légitimer ces projets sans jamais poser la question de leur pertinence.

La population, exclue du processus de décision

De fait, on ne demande pas l’avis des populations pour imposer ce genre de gadget technologique, de même qu’on impose l’informatisation des villes. Cette mise en numérique des villes se caractérise par une multiplication des capteurs – caméras de vidéosurveillance, indicateurs de la pollution de l’air, capteurs sur les poubelles, smartphones, lampadaires connectés etc -, par une collecte massive des données et par une automatisation de leur traitement. Pourtant il s’agit d’un choix politique, or les habitants et habitantes des villes n’ont pas leur mot à dire sur le déploiement de ce nouveau visage de l’ethos néolibéral.

Une participation contrainte

Si la population n’est pas conviée au processus de décision sur le principe d’un déploiement de dispositifs de surveillance en amont, elle est sommée de participer à l’élaboration et la mise au point de ces dispositifs. Elle est également attendue de manière active dans la production de la sécurité urbaine numérique.

L’expérimentation : la population comme laboratoire

Lors de la mise en place de dispositifs de surveillance, la population est régulièrement envisagée comme une matière première, afin de tester les technologies et les nouveaux algorithmes. Et cela pour deux raisons apparentes :

  • Premièrement, c’est une ressource gratuite pour entraîner les algorithmes et pouvoir ensuite généraliser la commercialisation dudit dispositif en France ou à l’étranger. Ainsi, par exemple, la population de la ville de Suresnes s’est transformée en cobaye au profit de l’entreprise XXII, comme nous le montrons ici.
  • Deuxièmement, l’expérimentation permet d’habituer une population à un dispositif ; cela permet d’en faciliter « l’acceptation » c’est-à-dire d’en faciliter la réception sociale.

Ces deux aspects de l’expérimentation peuvent parfois se recouper ou bien former deux tendances distinctes avec des caractéristiques propres. Un des usages possibles permis par l’expérimentation est de tester l’acceptabilité d’une technologie tout en en faisant la promotion et de profiter des retombées qu’elle peut conférer. Par exemple, à Nice, l’expérimentation de février 2019 consistait, durant les trois jours du carnaval de la ville, à utiliser la reconnaissance faciale pour identifier des personnes dans la foule. L’expérimentation avait été jugée conforme par la CNIL car le groupe de personnes sur lequel s’effectuait le traitement biométrique avait donné un consentement considéré comme « libre » et « éclairé ». Il s’agissait de faire la démonstration du fonctionnement de la reconnaissance faciale et de son utilisation en milieu urbain. Ici, en plus de l’effet de communication apporté par cette expérimentation, elle permet d’établir un précédent : la reconnaissance faciale a été utilisée, a produit des données et n’a pas été massivement rejetée par la population.

À l’inverse, d’autres expérimentations visent à améliorer des algorithmes et dispositifs sécuritaires et ne cherchent pas à être connues. C’est le cas du Lab’IA créé à la station de métro Châtelet – Les Halles à Paris par la RATP, un laboratoire d’intelligence artificielle où sont testées de nombreuses technologies dans la station de métro la plus fréquentée de France avec 750 000 visiteurs par jour. Le rapport de l’Institut Paris Région nous apprend que depuis 2017, la régie des transports a conclu des partenariats avec plusieurs entreprises (dont Thalès, Axone System et plus récemment, la société Datakalab sur la détection de port de masque) pour tester des algorithmes de maraudage, de détection de comportements suspects, d’abandon de colis. Mais du fait de l’ancienneté du parc de vidéosurveillance de la RATP (qui n’est pas doté de caméras HD), les algorithmes donnaient trop de faux-positifs. Par exemple, en attendant leur train, les voyageurs créaient de trop nombreuses alertes, car ils étaient détectés par l’algorithme de « maraudage », qui s’enclenche au bout de 300 secondes d’immobilité. Ce Lab’IA de la RATP à Châtelet est un bon exemple d’expérimentation où la population est vue comme un laboratoire pour tenter de « valoriser » son réseau de caméras et permettre à des entreprises d’améliorer leurs algorithmes sur des voyageurs. Ce type d’expérimentation ne gagne pas forcément à être publicisé.

Ainsi les expérimentations peuvent avoir plusieurs usages, que ce soit pour tenter de créer l’acceptabilité de ces dispositifs, pour améliorer les technologies ou encore parer à leur illégalité. Lorsque la population participe, c’est la plupart du temps malgré elle. Mais dans certain cas, sa participation est attendue :

La population, une coproductrice attendue de la surveillance urbaine numérique

Dans certains cas particuliers, la participation de la population est attendue et même souhaitée par les acteurs développant les smart cities. Ainsi à Nice, au début de l’année 2018, la municipalité voulait mettre en place une application dite citoyenne « Reporty » qui permettait de faire des appels vidéos avec la police tout en se géolocalisant et se filmant en temps réel pour dénoncer des « incivilités ». Une camionnette qui décharge de l’électroménager sur la voie publique, un maraudeur qui lorgne sur une voiture ou encore un cycliste renversé furent cités comme exemples par le maire de Nice, Christian Estrosi lors de la mise en place expérimentale de cette application (auprès de 2000 utilisateurs). Il affirme également : « Chacun d’entre nous doit devenir un citoyen engagé acteur de sa propre sécurité, et donc de la sécurité collective ». Finalement, Reporty fut épinglée par la CNIL, le dispositif étant disproportionné entre l’atteinte à la vie privée (collecte et enregistrement immédiat de données biométriques (voix, visage) et l’objectif escompté.
C’est ce que Vannessa Codaccioni nomme « société de vigilance » pour parler de la tendance à l’autosurveillance et à la délation qui s’institutionnalise.

Ainsi, les autorités s’attendent à ce que la population participe et contribue activement à la construction de la sécurité urbaine numérique. Guillaume Faburel : la population entière peut être envisagée comme capteurs, grâce aux technologies embarquées (smartphone). La population peut être actrice de sa propre surveillance « Depuis son smartphone, le citoyen pourra, dans un second temps, signaler un problème sur la voie publique (éclairage en panne, mur tagué, sac poubelle sur le trottoir,…), gérer ses demandes administratives ou encore optimiser ses déplacements dans la métropole. » toujours selon la métropole dijonnaise.

Ici la population d’une ville est l’objet des mesures de surveillance urbaine et en même temps considérée comme coproductrice de cette sécurité : le citoyen est envisagé comme partenaire et acteur de cette surveillance.

Conclusion

La smart city et l’informatisation qu’elle amène cache son déploiement dans nos vies et villes à travers le mythe de la participation. Or, comme on l’a vu, celle-ci est circonscrite : les habitant·es ne peuvent participer au gouvernement de la ville qu’en faisant office de nouveaux capteurs d’information. En ce sens, la ville connectée et intelligente n’apporte pas l’idéal démocratique tant promis par les autorités. Les dispositifs technologiques déployés renforcent la surveillance de l’espace public car ils sont porteurs de normes et de la vision du monde de leur promoteurs.