« Safe City » de Marseille : on retourne à l’attaque

Posted on


MAJ du 11 décembre : Premier bout de victoire, la ville annonce avoir « suspendu » le projet. Nous attendons la résiliation du contrat.

Nous repartons à l’attaque contre la « Safe City » de Marseille. Le projet de vidéosurveillance automatisée, que nous avions déjà essayé d’attaquer sans succès en janvier dernier, est en effet toujours d’actualité, et ce malgré le changement de majorité à la mairie et les critiques de la CNIL. Nous déposons donc un nouveau recours devant le tribunal administratif de Marseille pour stopper ce projet dangereux et illégal – alors que la loi « Sécurité Globale » discutée au Parlement cherche justement à faciliter l’analyse algorithmique des images de vidéosurveillance. L’enjeu est aussi de créer une jurisprudence capable d’entraver des projets similaires en cours dans d’autres villes françaises, comme à Paris, Toulouse, Nice, Lille ou encore Valenciennes.

En janvier dernier, dans le cadre de notre campagne Technopolice, nous attaquions le projet de vidéosurveillance automatisée de la ville de Marseille, alors dirigée par Jean-Claude Gaudin épaulé par son adjointe à la sécurité, Caroline Pozmentier.

En novembre 2018, la ville avait en effet signé avec la société SNEF un contrat pour installer un dispositif de « vidéoprotection intelligente ». Ce dispositif doit, selon eux, permettre de pallier au fait que les opérateurs humains ne peuvent pas visualiser l’ensemble des images issues des caméras et que l’aide d’un logiciel leur serait nécessaire. Une justification qui marche sur la tête : alors que l’utilité de la vidéosurveillance est toujours aussi contestée, on continue pourtant à multiplier les caméras dans nos rues, jusqu’à remplacer les opérateurs humains dépassés par des machines supposément toutes-puissantes.

Technopolice marseillaise

Parmi les fonctionnalités envisagées de ce dispositif à Marseille, on trouve la détection automatique de graffitis, de destruction de mobilier urbain, la possibilité de rechercher dans les archives de vidéosurveillance par filtre de photos ou de « description », la détection sonore de coups de feu ou d’explosions, la « reconstitution d’évènements » (comme le parcours d’un individu) ou la détection de « comportements anormaux » (bagarre, maraudage, agression).

Derrière la technicité des termes utilisés, le projet ressemble parfaitement à ce que l’on voit se multiplier un peu partout en France, discrètement depuis plusieurs années : le déploiement de nouvelles technologies visant à décupler les pouvoirs de surveillance de la police grâce aux avancées de l’analyse algorithmique. Reconnaissance faciale oui, mais pas seulement : « tracking » de personnes, détection de comportements suspects, analyse de foule… Et depuis la crise sanitaire : caméras thermiques, détection du port de masque ou calcul de distance physique.

Le projet de Marseille est d’ailleurs directement lié aux projets que nous avons dénoncé dans notre campagne. La société SNEF, qui a eu le marché en 2018, admet elle-même sur sa brochure commerciale être liée à d’autres entreprises de surveillance, en premier lieu la société israélienne Briefcam (voir d’ailleurs l’article d’EFF ici), l’entreprise canadienne Genetec ou le français Evitech : des entreprises qui développent toutes des produits illégaux de surveillance à destination des collectivités.

Ces dispositifs, couplés à l’augmentation du nombre de caméras, permettent une surveillance totale de notre espace urbain et nous réduisent à une société de suspects, traqués et identifiés identifiés en permanence. C’était donc l’objectif de notre premier recours en janvier dernier : lutter contre le développement de cette Technopolice en dénonçant son illégalité.

Une opacité qui empêche d’agir en justice

Nous avons néanmoins perdu ce premier contentieux. Non pas pour une raison de fond concernant le système mis en place par Marseille, mais pour une raison purement procédurale. Alors que nous attaquions la décision de la ville de mettre en place le dispositif, le tribunal a rejeté notre requête en considérant que nous aurions dû attaquer le contrat signé entre Marseille et la SNEF. C’est ce que nous faisons donc aujourd’hui en demandant la résiliation de ce marché.

Cette première défaite en mars est loin d’être anodine : elle révèle la difficulté à contester devant les tribunaux la mise en place des systèmes de vidéosurveillance automatisée. De tels systèmes ne font en effet que très rarement l’objet de décisions administratives publiques (et facilement attaquables) mais sont plutôt organisés autour de décisions non publiées ou de marchés publics moins médiatisés, plus compliqués aussi à attaquer.

Si nous avons pu avoir connaissance du projet de Marseille, c’est parce qu’il a fait l’objet d’un appel d’offre spécifique. La plupart du temps, ils sont englobés dans d’autres marchés, plus généraux, sur la sécurité publique ou la vidéosurveillance, ou dans des contrats pluriannuels passés avec de grosses entreprises, où aucune publication n’est nécessaire si la ville décide d’installer un jour un logiciel d’analyse algorithmique. Nous avons récemment écrit au ministère de l’Intérieur pour tenter de trouver des solutions face à cette opacité organisée, mais nos demandes et relances sont restées à ce jour sans réponse.

Gaudin et Rubirola, même combat

Autre point important : la mairie de Marseille n’est plus dirigée aujourd’hui par la même équipe que celle qui avait signé en 2018 le contrat. Ainsi, on a pu espérer un instant que la liste du Printemps marseillais abandonne le contrat au vu de ses positions sur la défense des libertés. En mars 2020, durant la campagne des municipales, il avait répondu favorablement à notre lettre ouverte demandant un moratoire sur les projets technopoliciers à Marseille. L’équipe de campagne nous avait également contacté pour nous signifier leur intérêt de notre manifeste contre la Technopolice. Dès la victoire aux municipales, en juillet dernier, il avait été question d’un « moratoire » sur la vidéosurveillance. Plus récemment encore, nombre des partis auxquels appartiennent certains cadres de l’administration marseillaise ont signifié leur opposition à la loi « Sécurité Globale » et à ses objectifs d’intensifier la vidéosurveillance sur le territoire. Des élus du Printemps Marseillais se sont également montrés aux côtés des manifestants sur le Vieux-Port le 28 novembre dernier.

Hélas, comme nous l’avons dénoncé à l’occasion de cette manifestation, cela fait six mois que cette nouvelle liste est au pouvoir et les actes concrets se font toujours attendre. L’idée de « moratoire » semble même avoir disparu. Lors du dernier conseil municipal (voir page 172), il est maintenant fait état d’un « déploiement (…) contenu » des caméras pour atteindre le nombre de 1500 sur le territoire communal. Et même si l’on parle d’un « bilan et une évaluation complète du dispositif », la collectivité a tenu à souligner que pour « assurer la continuité du fonctionnement des équipements actuels, le lancement d’une nouvelle procédure de marché public est nécessaire ». On est bien loin d’un moratoire ou d’un audit citoyen, auxquels le Printemps Marseillais s’était pourtant engagé. Quant à l’arrêt définitif du projet d’observatoire Big Data de la tranquillité publique — un prototype de police prédictive — et de l’expérimentation de la vidéosurveillance automatisée, les nouveaux élus marseillais ne semblent pas même au fait de ces dossiers.

Ainsi, s’agissant de la vidéosurveillance automatisée fournie par la SNEF, le marché public semble toujours bien en place, comme l’attestent d’ailleurs les documents que nous avons obtenus et qui concernent les échanges entre la mairie et la CNIL. En septembre dernier, l’autorité de protection des données personnelles livrait ainsi une sévère critique de « l’analyse d’impact » réalisée à la va-vite par la ville de Marseille suite à notre recours en référé de l’hiver dernier. La CNIL évoque notamment des finalités imprécises et les justifications insuffisantes avancées par la mairie pour justifier au plan juridique le déploiement de ce nouvel outil de surveillance. Ces critiques n’ont pourtant pas suffit à mettre un coup d’arrêt au projet.

Tandis que les nouvelles majorités municipales oublient déjà leurs promesses électorales et semblent incapables d’aller à contre-courant des dogmes sécuritaires, nous les attaquons pour les rappeler au strict respect du cadre légal.