Loi haine : le Conseil constitutionnel refuse la censure sans juge

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Victoire ! Après une longue année de lutte, le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la Constitution la quasi-intégralité de la loi de lutte contre la haine en ligne. Au-delà de sa décision, le Conseil constitutionnel refuse le principe d’une censure sans juge dans un délai imposé d’une heure ou de vingt-quatre heures.

En prétendant lutter contre la haine, la loi organisait en réalité une censure abusive d’Internet : la police pouvait exiger la censure de contenus à caractère terroriste en une heure ; les grandes plateformes devaient censurer tout contenu qui pourrait être haineux en vingt-quatre heures. Le Conseil constitutionnel a rendu une décision claire : ce principe de censure dans un délai fixe, que le Conseil critique violemment, est contraire à la Constitution. Comme nous le relevions dans nos observations envoyées au Conseil constitutionnel, un tel délai fixe, pour tout type de contenu, aggrave considérablement les risques de censures abusives, voire de censure politique. Le Conseil souligne que seuls les contenus manifestement illicites peuvent être retirés sans passer par un juge ; or, reconnaître qu’un contenu est manifestement illicite demande un minimum d’analyse, impossible en si peu de temps.

Notre victoire d’aujourd’hui est une lourde défaite pour le gouvernement. Il paie le prix d’une méthode irréfléchie et lourde de conséquences néfastes : alors que Facebook se vantait de lutter « efficacement » contre la haine en employant des armées de personnes et de machines pour censurer les contenus sur sa plateforme, le gouvernement a lancé une « mission Facebook » pour s’en inspirer. Il a ensuite chargé Madame Avia d’une loi pour imposer à l’ensemble de l’Internet le modèle de censure toxique et algorithmique de Facebook. Cette tentative aura été aussi inutile que dangereuse et inconstitutionnelle.

Mais, surtout, le gouvernement est intervenu au dernier moment pour faire « adopter à l’avance » en France le règlement européen contre la propagande terroriste, qui prévoit lui aussi une censure sans juge en une heure (lire notre analyse du texte). Alors que les débats européens sur ce sujet sont loin d’être terminés et qu’aucun compromis ne se dégage, la France a voulu mettre le législateur européen devant le fait accompli en tentant ce tour de force risqué. Son pari est entièrement perdu. Si le débat sur le règlement européen se poursuit, la France y aura perdu l’essentiel de sa crédibilité pour porter une proposition qu’elle est presque la seule, avec l’Allemagne, à vouloir imposer.

Pour lutter contre la haine en ligne, une autre stratégie, respectueuse des libertés fondamentales et d’un Internet libre, était possible : celle de l’interopérabilité. Cette voie, reprise par de nombreux amendements à droite comme à gauche durant l’examen de la loi haine, avait été repoussée par un gouvernement incapable de s’opposer véritablement aux géants du Net. En effet, le problème de la haine en ligne est accentué par le modèle économique des grandes plateformes qui ont un intérêt à mettre en avant des contenus conflictuels, voire haineux, qui feront réagir et rester sur leurs plateformes. Le législateur a refusé cette possibilité, se fourvoyant dans sa volonté de censure. Il faut désormais qu’il tire les conséquences de ce désaveu du Conseil constitutionnel.

Cette victoire est pour nous l’achèvement d’une longue année de lutte, à vos côtés, à tenter de convaincre les parlementaires que cette loi était contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel sanctionne lourdement l’amateurisme du gouvernement et des député·es En Marche ayant renoncé à tout travail législatif sérieux.