Nos arguments pour rejeter StopCovid

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MAJ : Mardi 28 avril, l’Assemblée Nationale commence son débat sur StopCovid. On vous a préparé une petite page pour contacter les député.es (par mail, Twitter) et lister quelques textes à lire sur le sujet. C’est ici !

Hier, Emmanuel Macron a invité le Parlement à débattre de l’éventuelle application StopCovid développée par son gouvernement. Nous venons d’envoyer aux parlementaires le résumé de nos arguments (PDF, 1 page), tel que repris ci-dessous.

L’application StopCovid serait inutile, dangereuse pour nos libertés et pourrait même aggraver la situation sanitaire. L’administration et le Parlement doivent cesser d’investir toute ressource humaine ou économique dans ce projet vain et dangereux. L’urgence est partout ailleurs.

Une efficacité hasardeuse

Utilisation trop faible

  • de premières approximations évaluent que plus de 60%1Le taux d’utilisation de 60% nécessaire pour une efficacité est très repris dans la presse française en s’appuyant sur cette étude, cela nous semble être une déduction assez vague de la figure 3 de l’étude, déjà nécessairement simplifiée par rapport à la réalité. Reste que pour espérer la moindre efficacité, il faudrait que l’application soit extrêmement performante pour identifier les contacts susceptibles d’avoir entraîné une contamination, la quarantaine successive très bien suivie, et également qu’il y ait un taux d’installation colossal de l’application., voire plutôt 80% ou 100% de la population devrait utiliser l’application pour que celle-ci soit efficace, à condition encore qu’elle produise des données fiables ;
  • seulement 77% de la population française a un smartphone et cette proportion baisse à 44% pour les personnes de plus de 70 ans, alors qu’elles sont parmi les plus vulnérables ;
  • beaucoup de personnes ne savent pas forcément activer le Bluetooth et certaines refusent de le maintenir activé en permanence pour des raisons pratiques (batterie) ou pour se protéger d’usages malveillants2Une grande partie des smartphones en utilisation ne sont pas équipés des dernières mises à jour de sécurité, or des failles dans le protocole Bluetooth ont été découvertes ces dernières années. ;
  • 16% de la population de Singapour a utilisé l’application équivalente – ce qui n’a pas empêché de devoir finalement recourir au confinement.

Résultats trop vagues

  • il faut redouter que la population n’ait pas accès à des tests de façon assez régulière pour se signaler de façon suffisamment fiable (et se reposer uniquement sur l’auto-diagnostic risquerait de faire exploser le nombre de faux-positifs) ;
  • il ne semble n’y avoir aucun consensus quant à la durée et la distance de proximité justifiant d’alerter une personne entrée en « contact » avec une autre personne contaminée ;
  • à certains endroits très densément peuplés (certains quartiers, grandes surfaces, grandes entreprises) on assisterait à une explosion des faux positifs, ce qui rendrait l’application inutile ;
  • le champ de détection du Bluetooth semble beaucoup trop varier d’un appareil à un autre et sa précision n’est pas forcément suffisante pour offrir des résultats fiables3Selon l’analyse de l’ACLU : « Other open questions include whether Bluetooth is precise enough to distinguish close contacts given that its range, while typically around 10 meters, can in theory reach up to 400 meters, and that its signal strength varies widely by chips et, battery, and antenna design » (« D’autres questions restent ouvertes, par exemple celle de savoir si le Bluetooth est assez précis pour différencier les contacts proches, étant donné que sa portée, qui tourne en pratique autour de 10 m, peut atteindre en théorie 400 m et que la puissance du signal dépend beaucoup de la puce, de la batterie, et de l’antenne utilisées »)..

Contre-efficacité sanitaire

  • en créant un faux sentiment de sécurité sanitaire, l’application pourrait inciter à réduire les gestes barrières, tout en échouant à lancer des alertes suffisamment fiables ;
  • son développement requiert une énergie et un coût qui ne sont pas investis dans des solutions plus efficaces, comme la production de masques, le dépistage de la population ou la promotion des gestes barrières… ;
  • le déploiement de systèmes de surveillance augmenterait le sentiment de défiance déjà important d’une partie de la population à l’égard de l’État. Ne sachant pas s’ils peuvent faire confiance au système mis en place, les potentiels malades pourraient se trouver incités à cacher leurs symptômes aux services de santé par peur de conséquences négatives.

Des libertés inutilement sacrifiées

Discriminations

  • que ce soit en la rendant obligatoire, ou par une pression sociale trop importante, les personnes n’utilisant pas l’application risqueraient de ne plus pouvoir travailler ou accéder à certains lieux publics librement (voir déjà un exemple en Italie), rendant leur consentement non-libre et donc nul ;
  • une hypothèse de discrimination particulièrement grave serait de faciliter l’accès aux tests sérologiques pour les personnes utilisant l’application.

Surveillance

  • dans le cas où l’application serait adoptée par une partie de la population, il faut redouter que le gouvernement puisse l’imposer plus facilement au reste de la population, contre sa volonté ; nous constatons que toutes mesures sécuritaires et liberticides prises dans les temps « d’urgence » n’ont jamais été remises en cause – c’est l’effet cliquet qui participe à la défiance justifiée contre ces solutions de contrôle ;
  • l’objectif de l’application (alerter des personnes ciblées) est par essence incompatible avec la notion juridique d’anonymat – il s’agit au mieux d’un pseudonymat, qui ne protège pas contre tout type de surveillance individuelle ;
  • la publication du code de l’application sous une licence libre, ainsi que l’utilisation de méthodes de compilation reproductibles, seraient des exigences indispensables contre ces abus, mais elles-mêmes insuffisantes.

Acclimatation sécuritaire

  • personne n’est capable de dire à l’avance pendant combien de temps l’application serait déployée ;
  • une fois l’application déployée, il sera plus facile pour le gouvernement de lui ajouter des fonctions coercitives (contrôle individuel du confinement) ;
  • l’application incite à soumettre son corps à une surveillance constante, ce qui renforcera l’acceptabilité sociale d’autres technologies, comme la reconnaissance faciale ou la vidéo surveillance automatisée, qui sont actuellement largement rejetées ;
  • solutionnisme technologique : l’application renforce la croyance aveugle dans la technologie et la surveillance comme principales réponses aux crises sanitaires, écologiques ou économiques, alors qu’elles détournent au contraire l’attention des solutions : recherche scientifique, financement du service public…

L’utilisation d’une application dont les objectifs, les techniques et les conditions mêmes d’usage portent des risques conséquents pour notre société et nos libertés, pour des résultats probablement médiocres (voire contre-productifs), ne saurait être considérée comme acceptable pour nous – tout comme pour beaucoup de Français·es. Le temps médiatique, politique et les budgets alloués à cette fin seraient mieux utilisés à informer et protéger la population (et les soignant·es) par des méthodes à l’efficacité prouvée, telles que la mise à disposition de masques, de matériel médical et de tests.

References

References
1 Le taux d’utilisation de 60% nécessaire pour une efficacité est très repris dans la presse française en s’appuyant sur cette étude, cela nous semble être une déduction assez vague de la figure 3 de l’étude, déjà nécessairement simplifiée par rapport à la réalité. Reste que pour espérer la moindre efficacité, il faudrait que l’application soit extrêmement performante pour identifier les contacts susceptibles d’avoir entraîné une contamination, la quarantaine successive très bien suivie, et également qu’il y ait un taux d’installation colossal de l’application.
2 Une grande partie des smartphones en utilisation ne sont pas équipés des dernières mises à jour de sécurité, or des failles dans le protocole Bluetooth ont été découvertes ces dernières années.
3 Selon l’analyse de l’ACLU : « Other open questions include whether Bluetooth is precise enough to distinguish close contacts given that its range, while typically around 10 meters, can in theory reach up to 400 meters, and that its signal strength varies widely by chips et, battery, and antenna design » (« D’autres questions restent ouvertes, par exemple celle de savoir si le Bluetooth est assez précis pour différencier les contacts proches, étant donné que sa portée, qui tourne en pratique autour de 10 m, peut atteindre en théorie 400 m et que la puissance du signal dépend beaucoup de la puce, de la batterie, et de l’antenne utilisées »).