Le Sénat doit rejeter la loi « contre la haine »

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Après une victoire en demi-teinte la semaine dernière en commission des lois, l’ensemble du Sénat examinera demain la proposition de loi « contre la haine ». Nous venons d’envoyer le message ci-dessous à l’ensemble des sénateurs pour leur demander de rejeter le texte.

Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,

Demain 17 décembre, vous examinerez la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Nous vous appelons à la rejeter dans son ensemble.

Le 13 décembre, la commission des lois du Sénat a corrigé ce texte de façon substantielle :
– suppression à l’article 1er du délai de 24 heures pour censurer les contenus signalés ;
– suppression à l’article 2, alinéa 11, de l’obligation d’empêcher la réapparition de contenus déjà censurés.

Ainsi modifié, le texte n’a presque plus de substance, de sorte qu’il devient inutile de l’adopter. Ses nombreux opposants, dont la Commission européenne, ont déjà invité le législateur français à retirer entièrement cette proposition de loi dont l’approche est erronée depuis le début. L’objectif de lutter contre la haine en ligne devra être poursuivi par d’autres textes législatifs, suivant des approches différentes.

Une interopérabilité insuffisante

Parmi ces autres approches souhaitables, nous nous réjouissons que la commission des lois ait introduit à l’article 4, alinéa 15, de mesures encourageant l’interopérabilité des grandes plateformes Toutefois, de simples « encouragements » ne sauraient suffire pour répondre aux enjeux en cause. L’interopérabilité doit être imposée en tant qu’obligation, et cela plutôt par l’ARCEP que par le CSA. Ainsi, ces « encouragements » sont trop faibles pour justifier à eux-seuls l’adoption de cette proposition de loi, dont les problèmes sont par ailleurs trop nombreux.

Un texte aggravé

Tout en la corrigeant sur certains points, la commission des lois du Sénat a aggravé d’autres aspect de la proposition de loi. Alors que la version initiale du texte ne concernait que les plateformes dont le nombre d’utilisateurs dépasse les 5 millions par mois, la version adoptée en commission des lois étend de façon indéfinie le champ des plateformes concernées. Désormais, la loi s’imposera aussi à n’importe quelle plateforme choisie par le CSA selon des critères si vagues qu’il risque de pouvoir les désigner arbitrairement. Il suffira que le CSA considère qu’une plateforme ait « en France un rôle significatif […] en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé » pour la soumettre à son pouvoir.

La proposition de loi conférait déjà des pouvoirs démesurés au CSA : il choisira seul et sans débat démocratique les règles imposées aux plateformes pour lutter contre les infractions en ligne, sanctionnées jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaire. La nouveauté introduite en commission des lois est que, en plus de décider des règles qu’il imposera, le CSA décidera aussi des plateformes auxquelles les imposer. Les risques d’abus, notamment contre les plateformes libres et décentralisées, sont immenses et justifient à eux-seuls de rejeter cette proposition de loi.

Les risques pour les plateformes libres et décentralisées sont au centre de nos inquiétudes. En effet, celles-ci permettent d’échapper aux plateformes gênantes et à leur « culture du buzz » qui favorise tant les conflits en ligne. Lutter contre la haine exige ainsi de favoriser le développement des ces plateformes décentralisées, notamment en s’abstenant d’introduire de nouvelles obligations qui les freineraient, telle que la conservation des contenus supprimés (trop lourd techniquement) ou la soumission à un CSA tout puissant et imprévisible.

Cordialement,

La Quadrature du Net