Projet de loi Terrorisme : les amendements à soutenir au Sénat

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Paris, le 15 octobre 2014 — Aujourd’hui à partir de 14h30, le Sénat débute l’examen du projet de loi « Terrorisme » de Bernard Cazeneuve. Après le dépôt des amendements par les parlementaires et le gouvernement, La Quadrature du Net – qui s’oppose depuis plusieurs mois à ce projet de loi – engage les sénateurs à étudier ou soutenir les amendements intéressants pour améliorer les dispositions toujours dangereuses du projet de loi.

Le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a été adopté à l’Assemblée nationale au mois de septembre, après des débats consternants montrant à quel point les députés font peu de cas des libertés fondamentales, n’hésitant pas à voter une loi d’affichage inefficace et liberticide dans l’espoir de répondre aux actualités dramatiques du Moyen-Orient. Le Sénat, chargé de poursuivre l’examen législatif aujourd’hui, doit absolument revenir sur les dispositions les plus dangereuses de ce projet de loi et rétablir l’équilibre fondamental entre libertés publiques et invocation sécuritaire. Les quelques amendements allant dans ce sens sont à soutenir. L’examen en procédure accélérée de ce projet de loi, avec une seule lecture par chaque Chambre, exige une prise de position forte des sénateurs.

Article 4

L’article 4 tel que proposé par l’Assemblée Nationale porte sur le transfert, du droit de la presse vers le code pénal, des infractions de provocation et apologie des actes de terrorisme.

Comme La Quadrature du Net le soulignait la semaine dernière, intégrer ces dispositions dans le code pénal affaiblirait les garanties procédurales qui protègent la liberté d’expression.

Dans son texte du 14 octobre 2014, la commission des lois siégeant au Sénat revient sur les dangers effectifs d’une telle disposition et s’oppose, par le biais de l’amendement 18, à l’idée d’extraire ces deux délits du droit de la presse.

Malheureusement, les sénateurs ne sont pas allés jusqu’au bout de leur raisonnement et ont créé une exception pour les délits de provocation et apologie commis sur Internet, ce qui remet en cause le principe d’égalité devant la loi pénale, établi au considérant 65 de la décision n° 2006-540 DC du Conseil Constitutionnel.

La suppression de l’article reste dès lors la solution la plus logique ; pour cette raison La Quadrature du Net se félicite du dépôt des amendements 43 et 61 qui vont dans le sens du rétablissement du statu quo et, par conséquent, du maintien de ces délits dans le droit de la presse.

À défaut, l’amendement 44 pourrait être soutenu ; il aurait, quant à lui, le mérite d’ajuster en partie l’objectif de la commission des lois et d’extraire du code pénal l’apologie des actes de terrorisme. L’idée est judicieuse, tout en sachant que cet amendement ne pourra pas tout seul résoudre les problèmes liés à l’introduction du délit de provocation dans le code pénal, comme La Quadrature du Net le signalait précédemment.

Article 5

L’article 5, tel que proposé par l’Assemblée, étend à la situation d’une préparation individuelle des dispositions qui aujourd’hui portent sur la participation à un groupement constitué en vue de commettre un acte de terrorisme (cf. article 421-2-1 du code pénal).

Il introduit le délit d’entreprise individuelle de terrorisme ayant vocation à criminaliser et pénaliser l’intention et non pas la commission ou la préparation elles-mêmes d’un acte de terrorisme.

Les amendements déposés en vue de l’élaboration du texte de la commission des lois n’ont fait que détailler ultérieurement les éléments matériels1Amendements 45, 7, 10, 11, 9 et 22. utiles à la définition d’entreprise terroriste individuelle, sans aucune prise en compte de la conformité de cette introduction au principe de légalité, inscrit à l’article 8 de la déclaration de 1789, et de présomption d’innocence inscrit à l’article 9 de la même déclaration.

La Quadrature du Net appelle ainsi au soutien de l’amendement 62 qui prend en compte les éléments y étant évoqués et propose la solution la plus adaptée à ce cadre, à savoir la suppression de l’article.

À défaut, La Quadrature du Net appelle au soutien de l’amendement 64 qui aurait le mérite de rendre les conditions pour définir une entreprise individuelle de terrorisme beaucoup plus strictes et permettrait, éventuellement, d’encadrer de manière plus claire ce délit, ce qui permettrait d’identifier plus précisément les cibles réellement concernées et non pas l’ensemble de la population.

Bien que cela ne remette guère en question la logique qui sous-tend l’article 5, ce qui est fortement regrettable, La Quadrature du Net salue l’amendement 47 qui vise à l’abolition de la consultation habituelle des sites comme constitutive de la préparation et donc d’un acte de terrorisme. L’utilisation de cet élément pourrait avoir des répercussions graves en termes de liberté d’expression et d’accès à l’information comme cela a été signalé la semaine dernière (cf. notre analyse).

L’amendement 48, présenté comme un amendement de repli, aurait pour effet de limiter les dégâts en termes de liberté d’expression, en excluant le délit d’apologie du terrorisme du cadre de la fréquentation habituelle des sites. Si aucun des amendements précédemment indiqués n’est adopté, les sénateurs sont appelés à soutenir celui-ci.

Article 9

L’article 9 a pour objectif de conférer à l’autorité administrative le pouvoir de demander aux fournisseurs d’accès Internet de bloquer les sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.

Or, le blocage des sites se traduit souvent par une restriction grave à la liberté d’information, ce qui fait que :

  • il doit n’être envisagé qu’en dernier recours,
  • il doit être proportionné et mis en place avec les plus extrêmes précautions,
  • il doit répondre effectivement aux besoins annoncés, et donc être efficace.

En étendant une fois encore la responsabilité des hébergeurs par l’ajout de l’apologie ou de la provocation au terrorisme, dans le 7 du I de l’article 6 de la Loi pour la Confiance en l’Économie Numérique (LCEN), le législateur ne respecterait pas ces critères et il poursuivrait sa tendance néfaste à faire gérer les restrictions à la liberté d’expression par les hébergeurs, donc par des acteurs privés, et non par les autorités publiques dédiées à cette tâche (l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication notamment).

Le point 2 de l’article 9, en ce qu’il n’envisage pas de recours au juge judiciaire en amont de la décision de blocage, qu’il ne répond pas aux objectifs d’efficacité (le contournement des blocages est notoirement aisé), et qu’il n’offre aucune garantie de proportionnalité (les risques de surblocage sont massifs), ne peut servir l’objectif envisagé et doit donc être supprimé.

Les amendements 1 et 65, déposés en vue de supprimer l’ensemble de l’article 9 sont donc à soutenir. À défaut les amendements 51 et 8 supprimant le blocage administratif ainsi que l’amendement 52 supprimant l’extension de la responsabilité des hébergeurs doivent être soutenus. En dernier recours, La Quadrature du Net appelle au soutien des amendements qui rétablissent l’autorité du juge judiciaire ou du juge des libertés, en particulier les amendements 23, 69 et 53.

Article 10

L’article 10 a pour vocation de modifier le régime de perquisition applicable à l’ensemble des crimes et des délits flagrants. Son champs d’application dépasse donc celui de la lutte contre le terrorisme en tant que tel et il s’attaque à l’ensemble des délits régis par le code de procédure pénale. L’étendue de sa portée devrait, à elle seule, remettre en question la présence de telles dispositions dans un projet de loi qui devrait avoir vocation à porter sur les actes visés au point 11 de l’article 706-73 du code de procédure pénale, soit les crimes et les délits constituant des actes de terrorisme.

Plus précisément, cet article introduit une nouvelle modalité de perquisition depuis les services de police, ce qui laisse en suspens plus d’une question sur l’application des garanties nécessaires au maintien d’un équilibre entre efficacité des enquêtes et respect des libertés individuelles.

Dans la formulation de l’article, les mots « dans les conditions de perquisition prévues au présent code », sont probablement à considérer comme un garde-fou pour éviter toute dérive anti-démocratique ou non-respect de certains droits comme celui à la vie privée, mais ils laissent des questions ouvertes et des imprécisions sur leur application.

Or, l’amendement 24 propose la suppression de ces mots, ce qui enlèverait toute garantie possible de protection des droits dans ce cadre spécifique. Pour cette raison, La Quadrature du Net appelle fermement au rejet de cet amendement.

La Quadrature du Net appelle enfin à soutenir l’amendement 70 car l’autorisation que le juge des libertés et de la détention devra octroyer aux officiers de police judiciaire dans le cadre d’une enquête prévoyant une perquisition à distance, crée une protection très forte contre tout usage abusif des contrôles policiers.

Tableau récapitulatif

Article 4

  • à soutenir : 43 – 61
  • à soutenir à défaut : 44

Article 5

  • à soutenir : 62
  • à soutenir à défaut : 64
  • à soutenir en dernier recours : 47 et 48

Article 9

  • à soutenir : 1 – 65
  • à soutenir à défaut : 51 – 8 – 52 – 23 – 69 – 53

Article 10

  • à soutenir : 70
  • à rejeter : 24

« Les sénateurs ont l’opportunité de supprimer ou d’améliorer les pires dispositions de ce projet de loi. Il est de leur devoir de s’en saisir, malgré l’inconfort d’une procédure accélérée survenant en plein renouvellement de la Chambre. Les citoyens doivent pouvoir compter sur les sénateurs pour revenir à un meilleur équilibre entre libertés fondamentales et lutte contre le terrorisme, sous peine de voir la fuite en avant du gouvernement se poursuivre encore et encore dans des lois d’affichage et de communication inefficaces et liberticides » appelle Miriam Artino, coordinatrice de l’analyse juridique et politique de La Quadrature du Net

References

References
1 Amendements 45, 7, 10, 11, 9 et 22.