La farce de la « gouvernance de l’Internet » et son illusion « multi-acteurs »

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Traduction de la tribune de Jérémie Zimmermann publiée le 22 avril 2014

Depuis environ 15 ans, les rencontres pour la « Gouvernance de l’internet »1Du sommet mondial pour la société de l’information jusqu’aux plus récents forums pour la gouvernance de l’internet ont attiré l’attention et conduit notre imaginaire à croire que des règles consensuelles pour l’internet peuvent émerger de discussions « multi-acteurs » (« multi-stakeholder »). Quelques jours avant le forum « NETmundial » qui se tient à Sao Paulo, il devient évident que la « gouvernance de l’internet » est une farce qui nous tient occupés et cache une triste réalité : rien de concret n’est sorti dans ces 15 années, pas une seule action n’a jamais émergé de ces réunions multipartites alors que dans le même temps la technologie a dans son ensemble été retournée contre ses utilisateurs, transformée en un outil de surveillance, de contrôle et d’oppression.

Les citoyens du monde doivent penser aux défis importants à venir : fin de la surveillance de masse, protection des libertés numériques sans compromis, garantie de neutralité du Net, rendre universel l’accès à un internet libre etc. Aucun de ces sujets ne peut être réglé dans ces discussions multipartites stériles, avec des listes truquées de participants2Plus de 90% des membres de la « communauté technique » à NETmundial, comme au Forum pour la gouvernance de l’internet, sont par ailleurs membres de gouvernements ou d’entreprises. http://netmundial.br/blog/2014/04/20/netmundial-announces-list-of-registered-participants/, mais seulement dans un contexte politique adéquat, formé par des réseaux décentralisés de citoyens, organisés grâce à un internet libre.

À travers le site alternatif https://netmundial.net/ et une quantité d’autres modes d’organisation décentralisée, les citoyens du monde demandent à leurs gouvernements autre chose que cette farce de la gouvernance de l’internet.

Pourquoi devrions-nous attendre que ces hyper-structures multi-acteurs fonctionnent, si tant est qu’elles fonctionnent un jour, pour faire la moindre chose3Comme les universitaires le notent dans leurs conclusions de leur étude sur le « multi-acteurs » http://ssrn.com/abstract=2354377 : de plus, le fait que les principaux acteurs de la gouvernance de l’internet aient des opinions diverses sur la légitimité de la procédure aide à comprendre la tension grandissante dans ce domaine et indique également que les acteurs ***devraient tenter de trouver un modus videndi dans les procédures avant d’avoir résolu les problèmes de fond***. ? Il y existe déja une structure pour la gestion collective de l’internet : nous, citoyens, sommes tous co-propriétaires de l’Internet, si nous l’envisageons comme la somme de ses infrastructures, de ses technologies, et plus important encore, la somme des activités, données et contenus que nous, nous tous, contribuons à créer. Dans ce sens-là, Internet peut et doit être considéré comme un bien commun.

C’est précisément ce que nous devons demander maintenant à nos gouvernements, sur les cendres encore chaudes du modèle « multi-acteurs », écrasé sous les bottes des décisions unilatérales de la NSA, de Google, de Facebook, de la Chine, d’Apple, de la Russie, et de tous les autres acteurs qui n’ont pas attendu un consensus pour prendre des mesures radicales modifiant la technologie dans ses fondements pour la retourner contre les citoyens. Les gouvernements doivent considérer l’Internet comme notre bien commun, et le protéger comme tel, sans compromis. Comme la plus précieuse des réserves naturelles, ou une nappe d’eau potable. À partir de là nous devons nous engager dans un débat approfondi sur la nature de la confiance que nous plaçons dans les acteurs publics ou privés qui vont gérer cette ressource. Quelles conditions de transparence et de responsabilité (comme l’utilisation de logiciels libres et la capacité pour le public de le vérifier) devons nous demander, dans une société démocratique, à ceux qui sont responsables de la protection de nos libertés fondamentales, par leur contrôle sur une partie de notre infrastructure commune ?

C’est la nature des débats que nous aurions aimé voir émerger de NETmundial, sous l’impulsion courageuse de la présidente Dilma Roussef. Hélas, il semble qu’elle ait décidé de plier sous la pression des États-Unis4Pas de mention de la NSA, de la surveillance de masse, ni de la participation active des entreprises de la Silicon Valley dans la dernière version des « principes de gouvernance de l’internet »., de l’Union Européenne5La mention de la « neutralité du Net » a été retirée des « principes » sous l’influence de la commissaire européenne Neelie Kroes http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/kroes/en/content/my-thoughts-netmundial-and-future-internet-governance et des intérêts des industriels. Est-ce qu’un message des citoyens du monde sera capable d’influencer ce status quo insipide ?

Nous nous devons de toute façon d’essayer !

References

References
1 Du sommet mondial pour la société de l’information jusqu’aux plus récents forums pour la gouvernance de l’internet
2 Plus de 90% des membres de la « communauté technique » à NETmundial, comme au Forum pour la gouvernance de l’internet, sont par ailleurs membres de gouvernements ou d’entreprises. http://netmundial.br/blog/2014/04/20/netmundial-announces-list-of-registered-participants/
3 Comme les universitaires le notent dans leurs conclusions de leur étude sur le « multi-acteurs » http://ssrn.com/abstract=2354377 : de plus, le fait que les principaux acteurs de la gouvernance de l’internet aient des opinions diverses sur la légitimité de la procédure aide à comprendre la tension grandissante dans ce domaine et indique également que les acteurs ***devraient tenter de trouver un modus videndi dans les procédures avant d’avoir résolu les problèmes de fond***.
4 Pas de mention de la NSA, de la surveillance de masse, ni de la participation active des entreprises de la Silicon Valley dans la dernière version des « principes de gouvernance de l’internet ».
5 La mention de la « neutralité du Net » a été retirée des « principes » sous l’influence de la commissaire européenne Neelie Kroes http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/kroes/en/content/my-thoughts-netmundial-and-future-internet-governance