[FranceCulture] Après ACTA, TPP, la propriété intellectuelle continue son offensive

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Chronique diffusée le 18 octobre 2013 sur France Culture dans l’émission Ce qui nous arrive.


http://www.franceculture.fr/emission-ce-qui-nous-arrive-ce-qui-nous-arrive-2013-10-18
http://www.franceculture.fr/blog-ceci-n-est-pas-un-blog-2013-10-18-apres-acta-tpp-la-propriete-intellectuelle-continue-son-offen


Douze Etats du Pacifique, sous la houlette des Etats-Unis, sont en train de finaliser un accord de libre-échange qui, sous prétexte de défendre la propriété intellectuelle, criminaliserait nos usages les plus quotidiens de l’Internet. L’accord s’appelle le TPP, Trans Pacific Partnership, il est en œuvre depuis 2006, il réunit les Etats-Unis, le Mexique, le Canada, l’Australie, le Japon, la Malaisie et 6 autres pays et est en passe de se doter d’un nouveau volet dont des fuites (ce ne sont que des fuites car les négociations sont secrètes) nous apprennent que pour protéger la propriété intellectuelle, il forcerait les grands acteurs de l’Internet, et notamment les fournisseurs d’accès, à installer des outils techniques et légaux qui s’apparentent à une bonne vieille censure. Ce nouveau volet pourrait être intégré dans un mois. Dit comme ça, ça a l’air d’une vaste conspiration des Etats contre nos libertés numériques. Eh bien, on va finir par croire que c’en est une.

Souvenez-vous il y a un an et demi. Le parlement européen rejetait en bloc un traité du nom d’ACTA, traité de lutte contre la contrefaçon, traité engageant l’Union Européenne mais aussi les pays concernés par le TPP (Etats-Unis, le Canada, le Japon etc.). Un rejet spectaculaire, car, apparemment, il mettait fin à l’ACTA. L’ACTA, prétendant lutter contre la contrefaçon, visait en fait à relever encore une fois les standards de la propriété intellectuelle, au mépris de tout intérêt général. Dans son versant numérique, cela signifiait obliger les pays à installer des systèmes de traques des contenus extrêmement intrusifs et non respectueux des procédures de justice, mais il y avait d’autres versants, par exemple concernant la santé, qui rendaient illégale la circulation de médicaments génériques, car les médicaments génériques nuisent à l’intérêt des laboratoires pharmaceutiques. Comme le TPP, l’ACTA avait été négociée des années dans le plus grand secret avant d’être présenté aux Parlementaires européens.

A l’époque, le rejet du Parlement européen avait été interprété commune victoire idéologique : ah enfin, les femmes et hommes politiques comprenaient que la propriété intellectuelle devenait folle quand elle allait contre l’intérêt général, que sous la noble idée de rémunérer le concepteur et le créateur, pouvaient se cacher les intérêts de lobbys industriels qui se sentent menacés par des nouveaux modes de production et de diffusion, que dans cette lutte, les Etats-Unis étaient moteurs et que les lobbys hollywoodiens avaient réussi le coup de génie de faire croire à de petites sociétés d’auteur française qu’ils avaient les mêmes intérêt… Et, je me souviens avoir entendu alors une militante expliquer que la victoire était ponctuelle. Que l’ACTA allait se diffracter, exploser en milliers de morceaux qui allaient se loger dans d’autres accords. Je me souviens avoir à la fois admiré et craint la vigilance presque paranoïaque de la militante.

Eh bien j’avais tort, et elle raison. Car voici que l’ACTA revient donc dans le TPP. Sans l’Union Européenne pour le moment mais ça ne saurait tarder (et puis le TPP concerne les 2/5ème de l’économie mondiale). C’est que les enjeux sont gigantesques et la lutte sans merci. Très grossièrement, et un peu ironiquement, on pourrait résumer cela à un conflit autour de la notion de libre-échange. Le libre-échange que veulent les Etats et les industries et le libre-échange, mais vous voyez que les uns et les autres n’ont pas la même interprétation, ni de la liberté, ni de l’échange. Evidemment, c’est très compliqué et très vaste, je tente une réduction pratique : une météorite pénètre dans l’atmosphère en Russie, un automobiliste filme ce moment beau moment avec son téléphone portable et poste la vidéo sur Youtube. Voulez-vous que la vidéo soit retirée parce qu’à ce moment-là dans l’autoradio, passait en fond, presque inaudible, un morceau de musique d’un groupe allemand ? Si vous ne voulez pas de ce monde. Vous avez choisi votre camp.

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