[FranceInter] Julian Assange, cyberterroriste ?

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Pour toute une génération aujourd’hui dans le monde, Julian Assange est le héros qui invente Wikileaks, qui dévoile les crimes de guerre des États-Unis en Irak, qui diffuse des milliers de pages de documents officiels, qui fait trembler États et services de renseignement. Il prolonge l’esprit des journalistes qui ont révélé l’affaire du Watergate ou des Pentagone Papers.

Évidemment le pouvoir américain le poursuit par tous les moyens. Hillary Clinton veut sa peau, l’éditorialiste de Fox News lance des appels au meurtre contre Assange, partout le pouvoir exerce des pressions sur les médias, la Suède le poursuit pour abus sexuel, un moyen de l’attirer en Suède pour l’extrader aux Etats Unis où il risque la prison à vie, selon ses supporters. Le pays de la transparence et de la liberté d’expression, montre une image moins séduisante. Depuis des mois, le soldat Bradley Maning accusé d’avoir diffusé des secrets d’État par Wikileaks, risque la prison à perpétuité. Mis à l’isolement dans l’attente de son jugement, l’ONU dénonce les « tortures psychologiques » dont il fait l’objet.

Comment Internet nous surveille, comment résister…


http://www.franceinter.fr/emission-la-bas-si-jy-suis-julian-assange-cyberterroriste

Partie 2 : Julian Assange, cyberterroriste ? (2)
Partie 3 : Si c’est gratuit, c’est vous le produit !
Partie 4 : Je lèche, je lâche, je lynche


Daniel Mermet : Aujourd’hui donc comme prévu on va passer cette heure avec Julian Assange, le « cyber-terroriste », pas seul mais avec Jérémie Zimmermann, de La Quadrature du Net. On a rencontré ces gens-là à Londres. Vous le savez sans doute, Julian Assange est « exilé » dans l’ambassade de l’Équateur à Londres depuis déjà plusieurs mois, avec impossibilité de sortir de cette ambassade – c’est très petit, il a très peu de place – sinon il est immédiatement expédié vers la Suède. C’est une situation particulière. Pour toute une génération aujourd’hui dans le monde, Julian Assange c’est le héros qui a inventé WikiLeaks, qui a dévoilé les crimes de guerre des États-Unis en Irak, qui a diffusé des milliers de pages de documents officiels, qui fait trembler États et services de renseignements, et qui au fond ne fait que prolonger, ou permettre de prolonger, l’esprit de ces journalistes qui ont révélé l’affaire du Watergate ou des Pentagon Papers, qui sont évidemment l’honneur de notre métier.

Alors évidemment, le pouvoir américain le poursuit par tous les moyens : Hillary Clinton, vous l’entendrez dans l’émission, veut sa peau, c’est peu de le dire, un éditorialiste de FoxNews lance des appels au meurtre contre Assange. Partout, les pouvoirs politiques et économiques exercent des pressions sur les médias. La Suède le poursuit pour abus sexuels : c’est un moyen de l’attirer en Suède pour ensuite l’extrader aux États-Unis, où il risque la prison à vie, selon ses supporters. Ce qui fait que le grand et beau pays de la transparence et de la liberté d’expression – les États-Unis, vous m’avez compris – montre une image, à travers ça, beaucoup moins séduisante. Depuis des mois, le soldat Bradley Manning, accusé d’avoir diffusé des secrets d’État et les fameuses images, par le truchement de WikiLeaks, risque la prison à perpétuité ; il a été mis à l’isolement dans l’attente de son jugement, et l’ONU dénonce les tortures psychologiques dont il fait l’objet. En ce qui concerne Julian Assange, qui est traqué de partout, il a en effet trouvé refuge à l’ambassade de l’Équateur à Londres, surveillé par des centaines de policiers. S’il met un pied dehors, il est immédiatement arrêté.

C’est là que nous sommes allés le rencontrer avec Giv, à l’occasion de la sortie d’un livre, qu’il publie avec trois autres « résistants numériques », comme ils s’appellent eux-mêmes. Et le livre s’appelle : Menaces sur nos libertés. Vous avez compris que c’est évidemment nos libertés par rapport à Internet, nos données personnelles, etc et c’est de ça dont il sera question aujourd’hui et demain.

« Quand c’est gratuit, c’est vous le produit » [rires] « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit » : c’est la règle du « data to value », c’est-à-dire récupérer tout ce que nous semons comme indications sur nous-mêmes, ce qui constitue aujourd’hui, dit-on, la nouvelle rente pétrolière de GAFA, le monstre, le nouveau nom de Big Brother. GAFA c’est-à-dire Google Apple Facebook et Amazon, avec sa devise « data to value ». C’est ce dont nous allons parler pendant ces deux heures, et peut-être pendant une troisième d’ailleurs, parce que ce sont évidemment des sujets extrêmement importants. Menace sur nos vies privés, c’est le titre de ce bouquin. Et nous partons donc pour Londres.

Julian Assange : Je suis Julian Assange, éditeur de WikiLeaks. L’intégralité des données est ce qui permet de garantir l’intégrité du journalisme. Nous voulons montrer quelque chose d’autre.

TF1, 6 avril 2010 : Un raid de l’armée américaine fait plusieurs morts, dont deux journalistes de l’agence Reuters, tués depuis un hélicoptère Apache. Et voilà qu’aujourd’hui, une fuite a rendu publique la vidéo de l’attaque, classée secret défense.
Depuis leur hélicoptère, les soldats découvrent ce groupe d’hommes à l’allure tranquille. Ce sont des journalistes, caméras en bandoulière. Mais les américains y voient des insurgés armés de kalachnikovs. « On a repéré des individus armés ». On les entend les insulter en anglais, et demander l’autorisation de tirer. « OK vous avez l’autorisation d’ouvrir le feu » : ils obtiennent le feu vert, et transforment la scène en bain de sang. « Allez feu ! » [bruits de tir] « Tire encore ! Tire encore ! ».

Namir Noor-Eldeen, le photographe, avait 22 ans, son chauffeur Saeed Chmagh, 40 ans.

La suite fait encore plus froid dans le dos. Une camionnette de civils approche pour transporter les blessés. Depuis l’hélicoptère, les américains se mettent en tête que ce sont à nouveau des combattants qui viennent récupérer des armes. Ils tirent sur l’ambulance. Et pire : ils se réjouissent. Ils se félicitent d’avoir atteint le pare-brise, en plein dans le mille. Et ils rient. L’enquête ouverte à l’époque avait conclu qu’aucune erreur n’avait été commise.

David Leigh, journaliste au Guardian : La révélation essentielle des documents irakiens c’est le nombre de morts. Plus de 100 000 personnes de toutes origines ont été tuées en Irak et seul un pourcentage minime, 3% peut-être, étaient des soldats américains ou alliés. Tous les autres étaient de malheureux civils.

Christophe Eben, soldat américain : Julian Assange et son équipe d’idiots indisciplinés sont persuadés qu’en diffusant ces informations dans le monde entier, ils contribuent, d’une manière ou d’une autre, à la paix dans le monde. C’est une idée totalement fausse. Vous connaissez l’expression « Il faut des salauds pour faire le sale boulot » ? Il y a des sales boulots nécessaires.

Julian Assange : Apprenez, défiez, agissez. Maintenant.

Daniel Mermet : Salut, c’est Daniel Mermet, c’est Là-bas si j’y suis, avec Giv Anquetil et Julian Assange. Apprenez, défiez, agissez, maintenant.

Julian Assange, depuis le balcon de l’ambassade de l’Équateur à Londres, 20 décembre 2012 :
Bonjour Londres ! Le Pentagone a réitéré ses menaces contre moi en septembre et a affirmé que l’existence même de WikiLeaks était un crime commis en plein jour. Mon œuvre ne sera pas étouffée. Mais tant que cette enquête immorale se poursuit et tant que le gouvernement australien ne défendra pas le journalisme et WikiLeaks, je dois rester ici. La vraie démocratie n’est pas à Canberra.

La vraie démocratie est la résistance des peuples, armés de la seule vérité, de la place Tahrir jusqu’à ici à Londres. Chaque jour des gens ordinaires nous enseignent que la démocratie c’est la liberté de parole et la dissidence. Car dès que nous, les peuples, cessons de dire ce qu’il y a à dire et cessons de nous révolter, dès que nous sommes distraits, dès que nous nous détournons les uns des autres, nous cessons d’être libres. Car la vraie démocratie est la somme de nos résistances ! Si vous ne vous exprimez pas, si vous abandonnez ce qui est uniquement à vous en tant qu’être humain, si vous abandonnez votre conscience de ce qui est bien et de ce qui est mal, en d’autre termes, peut-être sans le savoir, vous devenez passifs et sous contrôle, incapables de vous défendre, et de défendre celles et ceux que vous aimez.

Les gens me demandent souvent : « Que puis-je faire ? ». La réponse n’est pas si compliquée : apprenez comment fonctionne le monde. Remettez en question les déclarations et les intentions de ceux et celles qui cherchent à nous contrôler derrière une façade de démocratie ou de monarchie. Unissez-vous pour un but commun et un principe commun afin d’imaginer, construire, documenter, financer, et défendre. Apprenez, défiez, agissez, maintenant.

Daniel Mermet : Voilà c’était Julian Assange parlant au balcon de l’ambassade de l’Équateur à Londres, c’est un tout petit bâtiment, on pense qu’une ambassade c’est un grand endroit, un grand bâtiment, mais non : c’est tout petit. Il a pu apparaître au balcon et faire ce discours, mais il ne peut absolument pas sortir de cet endroit.

On voit qu’il est très imbu de son rôle, il a un message à apporter très clair, très fort : « Apprenez, défiez, agissez, maintenant », et c’est un message de démocratie. Il décrit un nouveau monde encore en cours d’apparition celui où les gouvernements de pays émergents soutenus par leur population viennent protéger la liberté d’expression et de publication d’un homme contre la volonté des gouvernements des pays les plus riches. Évidemment tout ça est une remise en cause de l’hégémonie des États-Unis, de l’image même des États-Unis, et de l’image même de la démocratie américaine. Aujourd’hui c’est le dixième anniversaire, triste et sinistre anniversaire, celui du début de l’offensive en Irak. On se souvient de la façon dont cette guerre, cette offensive avait été présentée : une guerre préventive, pour libérer les irakiens. Et on a appris très vite – on s’en doutait déjà et maintenant on en est absolument certains – qu’il s’agissait d’une guerre basée sur un mensonge, et un mensonge d’État.

Les coupables, les responsables de cette guerre qui a fait des centaines de milliers de morts, on ne sait d’ailleurs pas très bien combien – les bilans sont très flottants : de cent mille jusqu’à un million de morts – on sait par contre le chiffre précis du côté des forces américaines : c’est autour de 4 500 soldats américains qui ont été tués en Irak. Aujourd’hui, l’Irak est dans un chaos total, on sait quels étaient les objectifs, ils étaient extrêmement clairs. Ils tiennent dans un seul mot : pétrole. Tout ça est maintenant avéré. Il y a donc une responsabilité politique, une responsabilité morale, humaine, etc. Et les responsables ne seront en aucun cas inquiétés. Alors que je parlais de Bradley Manning, ce soldat qui a balancé les documents pour cette fameuse vidéo que vous connaissez et dont vous venez d’entendre des extraits – cette énorme bavure de l’armée américaine – ce garçon, actuellement, est emprisonné et risque de passer le reste de sa vie en prison aux États-Unis. Julian Assange risque la même chose pour avoir dévoilé cette vidéo, pour avoir dévoilé des quantités de documents secrets, des documents d’États, comme vous le savez ça s’appelle WikiLeaks.

Aujourd’hui, il est poursuivi pour des crimes sexuels, soi-disant commis en Suède. Mais il sait très bien que s’il se présente à la justice suédoise, il y a tous les risques du monde pour qu’il soit immédiatement extradé vers les États-Unis et qu’il soit jugé dans des conditions… Vous entendrez la voix d’Hillary Clinton et vous verrez qu’on ne plaisante pas du tout avec cette histoire là aux États-Unis.

Voilà avec qui nous nous trouvons ce jour là, dans cette petite pièce de l’ambassade de l’Équateur à Londres : avec Julian Assange. À l’extérieur, devant l’ambassade, il y a toujours des supporteurs qui sont là, et qui portent des panneaux, des pancartes, des banderoles disant « Don’t Shoot » ou « Don’t Kill the messenger » : « Ne tuez pas le messager ». Effectivement c’est une erreur entre le messager et le message.

MUSIQUE  Sonic Disobedience – « WikiLeaks samba »

Daniel Mermet : On est face à l’ambassade de l’Équateur, on est à Londres, dans cette ambassade où Julian Assange est enfermé : il ne peut pas sortir, s’il met un pied dehors, immédiatement il est arrêté. De l’autre coté de la rue, trois personnes sont là, deux dames et un monsieur, avec des panneaux – il ne fait pas chaud aujourd’hui à Londres ! – sur ces panneaux on peut lire « Don’t shoot the messenger », « Free Assange », là « Free Assange Free » et là « Keep calm and free Assange » : « Restez calme et libérez Assange ».

Donc tous les trois vous soutenez Assange ?

Femme 1 : Absolutely, yes!

Daniel Mermet : Pourquoi ? Pourquoi ?

Femme 2 : Well we support the work WikiLeaks does / Parce que l’on soutient le travail que fait WikiLeaks.

Homme : « I think that Julian Assange is doing an excellent job / Je pense que Julian Assange fait un formidable travail. Moi personnellement j’aime Margaret Thatcher, moi je suis quelqu’un de très à droite. Mais par contre sur ces dossiers là je suis avec ces gens là parce que c’est juste, et ce qui est juste n’est pas nécessairement à droite. Et donc je peux me retrouver avec les gens de gauche. Il a mis à mal beaucoup de gens et ces gens là veulent lui botter le cul. Il fait ça pour tout le monde, et dans l’intérêt de la démocratie. S’il va en Suède, pour répondre aux poursuites qui sont engagées contre lui, il finira aux États-Unis, et dans une prison comme Bradley Manning et il ne verra plus jamais la lumière du jour.

Daniel Mermet : Et vous Madame, vous êtes aussi des admiratrices de Mme Thatcher ?

Femme 2 : Non moi pas du tout, je ne suis pas du tout supportrice de Margaret Thatcher. Mais d’un point de vue humain et en tant que personne qui aime la démocratie, je pense que WikiLeaks nous apporte beaucoup de choses parce ça nous permet de contrôler des intérêts puissants, et ça redonne la possibilité aux citoyens de contrôler les gouvernements. Je pense que pendant trop longtemps on s’en est remis aux politiciens élus et je pense que maintenant il est temps de demander à nos concitoyens de reprendre pied dans l’action politique et de reprendre le contrôle de leur vie. C’est très excitant pour nous aussi de suivre cette affaire et de pouvoir soutenir WikiLeaks de toutes les manières possibles.

Daniel Mermet : Droite et gauche : tous démocrates. On est devant 3 démocrates.

Homme : Merci beaucoup messieurs !

Daniel Mermet : Voilà, on pourrait penser qu’Assange est soutenu par des hackers et des geeks, ou des hurluberlus à travers le monde, ou des militants mais non : on voit bien que le sens commun, tout simplement, donne envie d’en savoir plus et de soutenir la démarche de WikiLeaks sans forcément nécessairement tout approuver. Donc on rentre sans difficultés – on est un peu étonnés – dans cette Ambassade de l’Équateur, heureusement le Président Correa a été réélu, et ça permet à Assange de rester là. Nous sommes dans une petite pièce sur le côté. On comprend que c’est très petit. On nous a dessiné le plan de cette ambassade : il a très très peu de place, il a une pièce pour travailler qui est assez étroite et puis une salle de bain dans laquelle il a son lit… et surtout si jamais il met un pied dehors, immédiatement, il est arrêté. L’ambassade de l’Équateur à Londres est cernée par la police, il y a la police absolument partout qui vérifie et qui contrôle absolument toutes les sorties. Mais pour les entrées il n’y a pas tellement de problèmes. Nous voici dans cette ambassade avec Julian Assange et Jérémie Zimmermann, son ami, son confrère disons. Zimmermann milite pour La Quadrature du Net.

Je sais par quoi je veux finir cet entretien. Par 3 mots qui sont : apprenez, défiez, agissez, maintenant. Ça c’est la fin de l’entretien, mais on va essayer de trouver un début maintenant. Est-ce que l’on peux parler de votre situation présente ?

Julian Assange : Bien sûr.

Daniel Mermet : Alors où en êtes-vous ?

Julian Assange : J’ai pensé que vous aviez dit « ma situation en prison », pas ma situation présente. Ça fait maintenant 9 mois que je suis dans l’ambassade de l’Équateur, et ça fait maintenant 7 mois que je bénéficie de l’asile politique. Tout ça en rapport avec la grande enquête qui est en cours aux États-Unis depuis plus de trois ans. Cette enquête aux États-Unis fait suite, bien sûr, à la publication que nous avons fait de documents du Pentagone et des services de sécurité américains. C’était les 3 plus grandes publications de documents classifiés dans l’Histoire. Et suite à la publication que nous avons faite de ces documents classifiés, il y a plus de 12 agences américaines qui ont ouvert des enquêtes, ce qui en fait la plus grande enquête depuis le 11 septembre 2011. WikiLeaks continue par ailleurs son travail, mais il y a des poursuites un peu partout dans le monde, plus d’une douzaine de poursuites, d’abord bien sûr sur les publications de documents classifiés, mais aussi suite à toutes les mesures qui ont été prises pour empêcher le financement de WikiLeaks en empêchant PayPal, Visacard, MasterCard d’acheminer les fonds à WikiLeaks.

Daniel Mermet : Un embargo bancaire.

Euronews, 25 octobre 2011 : En manque de fonds, WikiLeaks ne fuite plus. Le site Internet spécialisé dans la divulgation de documents secrets a été contraint de suspendre ses activités en raison du blocus financier imposé notamment par Visa et MasterCard. Le boycott mené par Bank of America, Visa, MasterCard, PayPal et Western Union menacerait l’existence même du site Internet. WikiLeaks aurait vu fondre ses revenus de 95% depuis décembre 2010. Le blocus a débuté quelques jours après la diffusion de câbles diplomatiques américains.

Julian Assange : Politiquement la situation s’est plus ou moins améliorée au cours de ces derniers 6 mois dans pas mal de pays, en Amérique du Sud, en Europe où on avait des problèmes. Par exemple aux États-Unis, avec les poursuites entamées contre nous, pas mal d’informations sont devenues publiques, qui nous montrent sous un autre jour et qui nous sont plus favorables. En Australie, il va y avoir des élections le 14 septembre. Le gouvernement actuel australien est dans une très mauvaise situation dans l’opinion publique, et moi-même j’ai fondé un nouveau parti, pour y répondre. Et on a jusqu’à 27% dans les derniers sondages d’intention de vote en Australie.

Daniel Mermet : Le parti s’appelle WikiLeaks ?

Julian Assange : Oui [ndlr : WikiLeaks Party]

Daniel Mermet : Ok. Quelle est la ligne politique de ce parti ? Libérer Assange ?

Julian Assange : Ce n’est pas encore publiquement annoncé, donc je ne vais pas le faire aujourd’hui.

Jérémie Zimmermann : Est-ce que tu peux faire une fuite sur la ligne politique du parti WikiLeaks ?

Daniel Mermet : Donc vous risquez d’être élu en Australie comme sénateur, c’est ça ?

Julian Assange : J’ai besoin de 14% des voix pour pouvoir être élu et dans les derniers sondages nous étions à 25%. Donc à moins que ces chiffres de sondages s’effondrent, je risque d’être élu sénateur, et on aura peut-être aussi d’autres élus.

Daniel Mermet : Et si vous êtes élu sénateur vous aurez là une protection qui vous permettrait de sortir d’ici, si vous avez l’immunité parlementaire qui vous permettrait de sortir d’ici, de l’ambassade de l’Équateur ?

Julian Assange : C’est-à-dire que les sénateurs australiens n’ont pas d’immunité parlementaire formelle. Cela ne fera pas de différence sur le plan légal, mais ça en fera une question politique avant tout. Comme vous avez pu le voir, la manière dont l’aspect juridique de toutes les poursuites américaines, la partie suédoise du dossier, ainsi que la partie bancaire du dossier, tout ça jouait à la fois sur le champ juridique, mais aussi extra-judiciaire, là ça sera une avancée majeure comme poids politique.

Daniel Mermet : Mais au fond, Julian, qu’est-ce que l’on vous reproche ?

Julian Assange : Ils ont tous très peur, en fait, je pense. Par exemple le gouvernement britannique vient d’admettre qu’il avait dépensé à ce jour plus de 3 millions de livres sterling rien que pour la surveillance de cette ambassade. Les gens ne dépensent autant d’argent que s’ils sont vraiment très inquiets. La question à se poser est alors : ont-ils raison d’avoir peur ou non ? Et quelles sont leurs peurs ?

Daniel Mermet : Alors quelle est votre réponse ?

Julian Assange : Je crois que la réponse est en deux parties. D’abord, ils ont raison d’avoir peur. Deuxièmement, ils ont peur d’une réduction de l’autorité qui leur est attribuée.

Daniel Mermet : Quand vous dites « ils », c’est qui ? Qui sont ces adversaires, ces ennemis ? Qui sont-ils ?

Julian Assange : Je vais vous donner un exemple très simple : en juillet 2010 le Pentagone a tenu une conférence de presse de 40 minutes. Et tout ça à propos de nous. Geoff Morrell, le porte-parole du Pentagone, a dit d’une manière très agressive et très explicite que WikiLeaks et moi, nommément, devions détruire tout ce que nous avions publié sur le Pentagone, détruire tout ce que nous n’avions pas encore publié sur le Pentagone, et arrêter toutes les activités de WikiLeaks concernant l’armée américaine. Et que si nous n’obéissions pas, nous serions forcés de le faire. Par contre, ils ne sont pas rentrés dans les détails sur les mesures qu’ils prendraient pour nous y obliger. Nous avons répondu que nous ne le ferions pas. Nous n’avons rien détruit de ce que nous avions publié, et nous publierons tout ce que nous devons publier sur le Pentagone. Et nous n’avons pas cessé d’être en relation et de gérer nos sources au sein du gouvernement américain. Donc le Pentagone s’est opposé frontalement à nous, et pour toutes les choses qu’ils nous ont demandé, ils ont perdu.Ils ont menacé nos activités au niveau global, et ils ont perdu.

Hillary Clinton, 29 novembre 2010 : Cette divulgation n’est pas juste une attaque contre les intérêts de la diplomatie américaine. C’est une attaque contre la communauté internationale, les alliances et les partenariats, les conversations et négociations qui garantissent la sécurité globale et la prospérité économique. Je veux dire ceci au peuple américain, à nos amis, et à nos partenaires : je veux que vous sachiez que nous avons pris des mesures radicales pour faire payer ceux qui ont volé ces informations.

Julian Assange : Le 28 septembre dernier, le Pentagone a réitéré ses menaces contre nous. La première fois que le Pentagone s’est opposé à nous, nous avons pris tout ça très au sérieux, nous avons eu peur. Mais la deuxième fois qu’ils se sont opposés à nous frontalement, j’ai ri  « quoi ? Encore cette vielle histoire ? ». Mais maintenant, regardez la prochaine fois que le Pentagone va proférer des menaces, pas juste contre nous mais contre quelqu’un d’autre, ils entendront : «  quoi ? Vous avez fait une conférence de presse de 40 minutes pour menacer une petite compagnie de publication, sans aucun résultat ? ». Ça veut donc dire qu’ils n’ont plus d’autorité à présent. En tout cas pour ce qui est des menaces qu’ils profèrent. Et donc ils sont en train d’essayer de récupérer leur autorité.

Daniel Mermet : Est-ce que vous pensez qu’ils vont utiliser d’autres moyens ? Est-ce que vous redoutez qu’ils utilisent des moyens plus indirects, des secrets, des pressions diverses et variées ?

Julian Assange : Ils ont plusieurs types d’attentes. Et s’ils veulent récupérer leur autorité, ils ne peuvent pas faire ça sous la table. Ils doivent faire croire aux gens que tout le mal qui peut nous être fait, c’est parce que eux le voulaient bien. C’est à ce prix là qu’ils pourront récupérer leur autorité. Pour faire vraiment une dissuasion générale. D’un autre côté, le Pentagone, la CIA, la NSA, etc, veulent nous détruire pour d’autres raisons qui ne tiennent pas simplement à leur autorité. Des raisons qui regardent vers l’avenir, pour pouvoir stopper nos publications à venir. On a publié un rapport de 2008 des services secrets américains qui analysait les manières qu’ils pourraient utiliser pour nous détruire. Et c’était avant même que notre conflit soit rendu public.

Daniel Mermet : Quels sont ces moyens ?

Julian Assange : Ils parlent du centre de gravité de WikiLeaks. Qu’ils doivent détruire le centre de gravité de WikiLeaks : la confiance que les sources gouvernementales ont en nous. C’est-à-dire de pouvoir publier des sources ayant un impact, tout en les protégeant. Donc leur priorité était d’abord de trouver nos sources, et deuxiémement d’essayer de détruire notre réputation. L’une des manières de détruire notre crédibilité était par exemple de nous faire publier des documents faux. Mais jusqu’à ce jour, on a fait un sans faute.

MUSIQUE : The New Puritans – « Fire Power »

Jérémie Zimmermann : Bonjour, je suis Jérémie Zimmermann, je suis co-fondateur et porte-parole de l’organisation citoyenne La Quadrature du Net. Nous défendons les libertés fondamentales sur Internet et tentons de maximiser la participation des citoyens dans le débat public sur les questions relatives aux libertés sur Internet. Le Figaro nous a traité de « fer de lance de l’opposition contre la loi Hadopi », mais on agit sur des sujets qui vont du droit d’auteur à la neutralité du Net à la censure sur Internet, ou plus récemment à la protection des données personnelles avec un règlement en cours d’élaboration à Bruxelles. À titre personnel, je suis un hacker au sens étymologique du terme, à savoir pas quelqu’un qui casse comme on le croirait si on ne regardait que TF1, mais un hacker c’est plutôt quelqu’un qui construit, c’est un passionné de la technologie qui aime comprendre comment elle fonctionne, c’est quelqu’un de curieux, un hacker.

Daniel Mermet : Voilà Julian Assange n’est pas seul évidemment, il a du monde autour de lui, il a des amis, il a des confrères. Ce bouquin Menace sur nos vies privées qui sort chez Robert Laffont a été écrit à quatre mains : il y a Julian Assange lui-même, Jacob Appelbaum, Andy Müller-Maguhn, et puis Jérémie Zimmermann, le Français Jérémie Zimmermann, de La Quadrature du Net qui vient de se présenter, et qui nous dit pourquoi il défend WikiLeaks.

Jérémie Zimmermann : Pourquoi je défends WikiLeaks bec et ongles, si j’ose dire, c’est parce que pour moi WikiLeaks c’est l’exemple de cette émancipation des individus par Internet. Du fait que n’importe qui puisse, dans son garage, commencer quelque chose, se dire : « hey, moi j’vais l’faire » et le faire, et obtenir une couverture, une attention sans précédent. Aussi parce que WikiLeaks, c’est quelque part l’illustration que cette liberté d’expression, que le partage de la connaissance est vraiment ce qui libère les individus, ce qui libère les peuples, ce qui change les situations politiques, ce qui change les régimes. Et que WikiLeaks est un exemple concret : on a vu les retombées des câbles diplomatiques partout dans le monde, qui ont stimulé des débats publics, voire qui ont participé à mobiliser des gens autour de grandes causes. Aussi parce que WikiLeaks fait quelque part ce que l’on attend des journalistes. WikiLeaks, en quelque sorte, a donné au monde une leçon de journalisme, et c’était particulièrement flagrant lors de la diffusion des « warlogs », je ne sais plus si c’était sur l’Afghanistan… C’était tous ces documents des militaires US en Afghanistan. Je crois que c’était sur la version irakienne, où pendant la conférence de presse, Julian et ses amis ont fait une véritable leçon de ce qu’on appelle le « data journalism », donc le journalisme des données, le journalime fait à partir de grandes quantités d’informations, il a fait une leçon aux journalistes pour leur expliquer : « voilà : on a fait une base de données, regardez comment ça marche, regardez comment on fait des requêtes, regardez comment à partir de ces requêtes on peut faire des cartographies, des choses et des machins… ». Et donc expliquer aux journalistes comment on fait son métier, aujourd’hui, avec des grosses quantités de documents secrets plutôt que de dire  « oh la la y’en a trop, j’peux pas les lire ! ». Eh bien non : dire comment on va les lire, comment on va demander au petit geek de service, au petit hacker de service comment filer un coup de main et accéder à ces informations.

Daniel Mermet : Quelqu’un comme Hubert Védrine, qui est une autorité, parlait de la « vie privée des États » que WikiLeaks était « une atteinte à la vie privée des États ». Est-ce qu’il y a des limites à ces publications, à ces diffusions de la vérité ?

Jérémie Zimmermann : Ça c’est quelque chose d’absolument révoltant, et c’est d’autant plus révoltant que c’était un élément de langage qui était partagé entre la gauche et la droite, et que vraiment j’ai vu se répandre au même moment, au moment où ont été diffusés les câbles diplomatiques… Il y a eu Hubert Védrine, il y a eu Bernard Carayon à l’UMP… Je ne me souviens plus qui d’autre, mais ils étaient quelques uns à dire : « c’est un scandale ! WikiLeaks viole la vie privée des États ».

[Bruitage]

France Inter, 1er décembre 2010 :
Patrick Cohen : Bonjour Hubert Védrines.

Hubert Védrines : Bonjour.

Patrick Cohen : Le diplomate que vous êtes, ou le spécialiste des questions internationales, fait-il son miel des messages américains dévoilés par WikiLeaks ?

Hubert Védrines : Non pas spécialement. Enfin ça m’a rien appris de spécial. Il n’y a pas de révélation particulière. Je trouve même que c’est la démonstration du fait que la transparence, cette espèce de pseudo veau d’or contemporain, n’apporte rien en fait. Nous sommes dans une société qui croit dur comme fer que la transparence c’est bien en soi, sans limite ni règle. Mais c’est un concept totalitaire en réalité.

Patrick Cohen : Mais ce qui n’est pas le cas, en l’espèce.

Hubert Védrines : On a déjà pratiqué la transparence absolue, c’était dans les villages chinois à l’époque de Mao, sous la révolution culturelle. Donc si on aime la transparence absolue, voilà : c’est ça qu’il faut faire.

[Bruitage]

Jérémie Zimmermann : Ça c’est absolument scandaleux, parce que ceux qui disent ça savent très bien que c’est un mensonge ! Les États n’ont pas de vie privée. La vie privée, c’est pour les individus. Et surtout la protection de la vie privée, c’est une liberté fondamentale. Et donc cette attaque pour dire  « regardez WikiLeaks viole une liberté fondamentale d’un État ! » ça n’a aucun sens. Et donc mélanger la protection de la vie privée et la protection du secret des affaires de la puissance publique c’est vraiment… C’est un mensonge éhonté. Et en réalité la vie de l’État est publique. Point. Il y a quelques exceptions qui sont justifiées : lorsque c’est justifié, les opérations tactiques, des documents en cours d’élaboration avant qu’ils soient finalisées par exemple, peuvent légitimement être tenus secrets. Mais dans une société démocratique il y a toujours un rétro-contrôle citoyen. Il y a moyen soit de faire déclassifier ces informations secrètes, d’y accéder, de demander leurs publications. Et ce que l’on voit au cours de ces dernières années, WikiLeaks en a fait la démonstration, c’est que les États abusent de cette capacité à garder des informations secrètes. Et c’est ça la démonstration de WikiLeaks dans les câbles. Alors certains faisaient les blasés et disaient : « bah oui, tout ce qu’il y avait de la câbles, on savait tous déjà tout ce qu’il y avait dedans… », comme s’ils avaient lu les 70 000 câbles, et qu’ils savaient évidemment tout de tous les pays du monde. Outre cette hypocrisie, c’est vrai que dans certains câbles il y avait des choses complètement anodines. Pourquoi ces choses là devraient être secrètes ? Pourquoi lorsque les gouvernements investissent, sans parler des deniers publics, mais investissent la puissance publique dans des affaires comme ça, comment peuvent ils utiliser le secret sans raison ? Je crois qu’aux États-Unis, le nombre de documents secrets a été multiplié par 10 ou 20 en quelques années. Je suis particulièrement outré par les efforts qui ont été mis en œuvre, initiés en grande partie par des grosses administrations américaines, et qui ont été très largement relayés par les médias, pour tenter d’assassiner le personnage de Julian Assange. Et tous ces journalistes qui n’ont, peut-être pour des raisons d’égo, je ne sais pas, mal digéré peut-être le fait que WikiLeaks ait autant de…

Daniel Mermet : Leur donne des leçons ?

Jérémie Zimmermann : Oui, et peut-être aussi n’ait pas besoin d’eux. Et on voit, si on devait faire une analyse sémantique de millions d’articles qui ont parlé de WikiLeaks… On a l’impression que 70 ou 80% d’entre eux parlent de la braguette de Julian Assange. Et comme si la presse ne voulait pas apprendre, ne pouvait pas apprendre. Et donc je pense qu’au travers de cette affaire là, soutenir Julian, soutenir WikiLeaks, c’est quelque part revendiquer cette vision d’une information citoyenne qui défendrait la vérité, qui serait courageuse, et qui se baserait sur l’analyse de grandes quantités de données, pour mettre les gouvernements face à leurs responsabilités, pour exposer les crimes et les mensonges.

[Bruitage]

France 24, 19 novembre 2010 : Il a passé ces derniers mois à rendre public les secrets des guerres en Afghanistan et en Irak. Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international dans une enquête pour viol sur deux femmes. Les faits se seraient produits en Suède en août dernier. Le mandat d’arrêt mentionne une double accusation de viol et d’agression sexuelle.

[Bruitage]

Daniel Mermet : Alors les enquêtes et les témoignages sont très contradictoires, très controversés, sur cette histoire de viol. Les personnes concernées disent que « non, c’est pas des viols »… Ça a l’air très très cousu de fil blanc cette histoire. Mais enfin, il faut que la justice suédoise fasse son travail, mais on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est là, que l’on est en présence d’une des attaques de toutes sortes qui visent Julian Assange et WikiLeaks.

Julian Assange : Robert Gates, le Secrétaire de la Défense avait dit dans une interview , quand j’avais été arrêté suite à cette affaire suédoise : « c’est formidable, c’est une très bonne chose pour nous ! ». Et le Pentagone a toujours publié sur Twitter, réagissant au coup par coup, justement à l’affaire suédoise. Ils capitalisent sur toutes les attaques sur lesquelles ils peuvent avoir prise. Dans un autre cas c’était la « Bank of America » qui était très inquiète en 2011, qu’on publie des dossiers sur eux. La Bank of America a contacté le département de la justice, c’est-à-dire le ministère de la justice américain pour savoir comment nous contrer. Et le ministère de la justice a recommandé à Bank of America, trois compagnies militaires privées américaines. Et ils ont fait la liste des journalistes qui écrivaient des choses qui nous étaient favorables, sur des avocats aussi, en indiquant la liste de leur matériel informatique et comment ils pouvaient cibler ces journalistes et essayer de pirater leurs systèmes informatiques. Une de ces compagnies de sécurité privée s’appelait HBGary : c’est cette même compagnie qui avait essayé de pénétrer Anonymous. Et les hackers d’Anonymous, lorsqu’ils se sont aperçus qu’on essayait de les pirater, ont réussi à pirater la compagnie privée, et ont mis en ligne 70 000 emails de cette compagnie de sécurité privée. Parmi tout ces emails, ils ont retrouvé justement la trace de cette attaque contre nous, pour un montant de deux millions de dollars par mois. Et aussi, les traces d’autres attaques que HBGary avait fait pour le département du commerce, c’est-à-dire pour le ministère du commerce américain, contre d’autres compagnies. Et c’est après avoir été mis à nu ainsi que le chef de cette compagnie de sécurité a dû démissionner.

Daniel Mermet : Julian Assange, on le retrouve demain dans Là-bas si j’y suis ainsi que Jérémie Zimmermann. Merci à tous et bonne année du peuple iranien qui célèbre le nouvel an aujourd’hui. C’est le lobby iranien de Là-bas si j’y suis qui m’a demandé de transmettre ce message.

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