La Commission européenne encourage la « coopération » privée au mépris de nos libertés

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Le 26 janvier dernier, deux membres du Parlement européen1 Stavros Lambrinidis et Françoise Castex ont écrit à la Commission pour lui poser une question prioritaire à propos du « Dialogue entre parties prenantes sur les infractions au droit d’auteur sur Internet » organisé par la Commission européenne (DG Marché intérieur2La Direction générale Marché intérieur, dirigée par le Commissaire Michel Barnier, dont le portefeuille comprend la « propriété intellectuelle »). Depuis plus d’un an, la Commission organise régulièrement des réunions entre les lobbies du divertissement et les fournisseurs de services sur Internet (opérateurs télécom, plateformes d’hébergement, et moteurs de recherche) afin d’encourager une coopération mutuelle. Mais sous couvert de « coopération », et sous la menace de nouvelles législation, la Commission et les ayants droit font pression sur les FAI pour que ces derniers se transforment en police privée du droit d’auteur sur Internet.

En quoi consiste ce dialogue entre parties prenantes ?

Depuis 2009, la Commission européenne organise régulièrement des réunions à la Direction générale Marché intérieur. Ce groupe de travail supervisé par Margot Froehlinger réunit les fournisseurs d’accès à Internet, les prestataires de services en ligne et les industries du divertissement. Le but est clair : obliger les acteurs de l’Internet à faire la police sur leurs réseaux et leurs services en ligne afin de « décentraliser » la guerre contre le partage au travers d’une prétendue « auto-régulation ».

En septembre dernier, PCINpact a publié des documents internes provenant de la DG Marché intérieur. Ces derniers montrent que le filtrage du Net a été l’objet de discussions dans le cadre du dialogue. Parmi les autres sujets soumis à discussion se trouve aussi la collecte non autorisée et le traitement de données à caractère personnel des internautes s’adonnant au partage, de façon à les identifier et, le cas échéant, les punir. Cette « coopération » pourrait donc aboutir à des restrictions d’accès extra-judiciaires pour les contrevenants présumés3La Commission a déjà envisagé de tels dispositifs. Dans sa communication du 11 septembre 2009, la Commission écrivait :« il faudra encourager les titulaires de droits et les autres parties intéressées à explorer le potentiel des approches coopératives et à mettre davantage l’accent sur le regroupement des forces pour lutter contre la contrefaçon et le piratage dans l’intérêt commun, tout en tirant profit des alternatives possibles à une action en justice pour régler les différends. » Voir : http://www.laquadrature.net/fr/la-commission-europeenne-fait-etat-dune-vision-dogmatique-du-copyright.

Il est aussi à noter que, depuis l’année dernière, Google, Yahoo et Amazon participent malheureusement à ces réunions. La décision récente de Google de censurer certaines requêtes dans ses services Google Instant et Google Suggest n’est qu’un exemple de ce à quoi la « coopération » entre les ayants droit et les acteurs de l’Internet pourrait mener.

ACTA, IPRED, et la « guerre contre le partage »

Fait intéressant, ces réunions ont lieu alors que la Commission travaille à la révision de la directive « anti-partage »4Directive relative à l’application des droits de propriété intellectuelle (IPRED) et la signature de l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), qui fait lui aussi référence à la « coopération »5Voir l’article 27.3: Each Party shall endeavour to promote cooperative efforts within the business community to effectively address trademark and copyright or related rights infringement while preserving legitimate competition and, consistent with that Party’s law, preserving fundamental principles such as freedom of expression, fair process, and privacy.. Malgré les références répétées à « l’autorégulation », la récente communication de la Commission concernant IPRED et sa soi-disant « évaluation », montre clairement que la Commission souhaite accroître la pression juridique sur les fournisseurs de services en ligne et les fournisseurs d’accès afin de surmonter leur réticence à jouer les robocops du copyright.

Stavros Lambrinidis et Françoise Castex, deux eurodéputés inquiets de cette tendance à l’application extra-judiciaire du droit d’auteur au nom de l’autorégulation, viennent de déposer une question prioritaire à l’attention de la Commission. Ils demandent si le Contrôleur européen de la protection des données (en charge de la protection de la vie privée) a été invité aux réunions, et dénoncent le fait que ces réunions aient eu lieu à huis clos pendant plus d’un an, malgré le fait que les participants y discutent de politiques qui mettent dangereusement en cause les droits fondamentaux et l’État de droit.

Il nous tarde de lire la réponse de la Commission. Alors que la DG Marché intérieur et les industries du divertissement intensifient la guerre contre le partage, espérons que nos représentants au Parlement européen ne laisseront pas des fonctionnaires non élus et des acteurs privés mettre nos droits et libertés en danger.

Participez à l’analyse du rapport sur l’application de l’IPRED

References

References
1 Stavros Lambrinidis et Françoise Castex
2 La Direction générale Marché intérieur, dirigée par le Commissaire Michel Barnier, dont le portefeuille comprend la « propriété intellectuelle »
3 La Commission a déjà envisagé de tels dispositifs. Dans sa communication du 11 septembre 2009, la Commission écrivait :« il faudra encourager les titulaires de droits et les autres parties intéressées à explorer le potentiel des approches coopératives et à mettre davantage l’accent sur le regroupement des forces pour lutter contre la contrefaçon et le piratage dans l’intérêt commun, tout en tirant profit des alternatives possibles à une action en justice pour régler les différends. » Voir : http://www.laquadrature.net/fr/la-commission-europeenne-fait-etat-dune-vision-dogmatique-du-copyright
4 Directive relative à l’application des droits de propriété intellectuelle
5 Voir l’article 27.3: Each Party shall endeavour to promote cooperative efforts within the business community to effectively address trademark and copyright or related rights infringement while preserving legitimate competition and, consistent with that Party’s law, preserving fundamental principles such as freedom of expression, fair process, and privacy.

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