En Défense de la Culture Libre au Brésil

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La Quadrature reproduit ici une lettre ouverte de la société civile brésilienne (en date du 28 décembre 2010). De nombreux brésiliens craignent que les changements en cours au sein du ministère de la Culture ne remettent en cause les politiques innovantes mises en place par Gilberto Gil lorsqu’il était à la tête du ministère (2003-2008), ainsi que par son successeur Juca Ferreira (2008-2011).

Lettre ouverte des représentants de la société civile à la Présidente du Brésil Dilma Rousseff et à la ministre de la culture Ana Buarque de Hollanda

Nous, le peuple et les organisations de la société civile, exprimons dans cette lettre nos attentes et des lignes directrices pour la formulation de la politique publique pour la culture, et souhaitons la bienvenue à la nouvelle ministre Ana de Hollanda, la première femme à occuper ce poste.
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Nous écrivons cette lettre afin de coopérer avec son administration dès sons départ, comme nous l’avons fait au cours des huits dernières années avec le ministère de la culture. Nous sommes assurés que la présidente Dilma souhaite que des politiques pertinentes et largement soutienues par la société civile, soient poursuivies au sein du ministère de la culture et même étendues.
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À cet égard, la présidente Dilma, ainsi que l’ancien président Lula, ont participé activement ces dernières années au Forum International du Logiciel Libre à Porto Alegre, où ils ont clairement énoncé leur politique concernant Internet, la culture numérique et le droit d’auteur. [1]
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Dans le contexte de ces dernières années, la société civile a eu l’occasion d’accomplir un important travail avec le gouvernement qui s’inscrivant dans une vision contemporaine de la formulation des politiques publiques pour la culture. Ce point de vue considère que ces dernières années, en raison des progrès dans les technologies de l’information et les programmes numériques, un contingent de millions de nouveaux créateurs fait maintenant partie du tissu culturel brésilien. Ces créateurs ont accès au réseau depuis plus de 100 000 bornes publiques partout dans le pays, au travers des « Points de culture », ou d’autres programmes en faveur du numérique, chacun jouant un rôle décisif dans la formation de la culture du pays.
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Les Points de culture, le Forum de la Culture Numérique, le Forum des Médias Libres, le développement de logiciels libres, l’initiative de révision du droit d’auteur, le rejet des propositions irrationnelles de criminalisation du réseau Internet, la construction d’un cadre réglementaire des droits civils sur Internet (le Marco Civil) et le rejet de l’ACTA [2] sont des exemples reconnus de cette politique d’intégration, fondée sur la garantie du droit à l’accès au réseau et à la connaissance, permettant un environnement fertile et innovant pour la production culturelle .
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Les points forts de cette politique ont été reconnus à la fois au Brésil et à l’étranger, lorsque le pays s’est placé à la pointe dans les efforts pour aligner les pays autour de la mise en œuvre de l’Agenda de Développement de l’OMPI, afin d’équilibrer le système international de la propriété intellectuelle en conformité avec les différents niveaux de développement des pays et des nouvelles formes de production culturelle que les technologies rendent possibles. Le pays a également été fréquemment cité sur la scène internationale [3] comme une référence pour l’utilisation des technologies dans la formulation coopérative et démocratique des politiques publiques dans ces domaines.
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Le pays a réussi à faire des progrès substantiels en tirant partie des technologies de l’information et de communication développées ces dernières années, qui apportent de nouveaux paradigmes pour la production et la diffusion des connaissances, devant nécessairement être pris en considération dans les politiques publiques culturelles.
Nous vivons à une époque où il y a de nombreuses tentatives pour restreindre la créativité, l’ouverture et la neutralité du net. Au Brésil, cela se manifeste dans la “Loi Azeredo” (PL 84/99), ainsi appelée en raison de son principal soutien, l’ancien sénateur Eduardo Azeredo. Cette proposition a rencontré une forte résistance de la part de la société civile. Une seule pétition a reçu plus de 160.000 signatures pour s’y opposer, ce qui signifie que cette proposition a été dûment suspendue et un débat plus large lancé. [4]
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Nous comprenons que le droit d’auteur actuellement en vigueur au Brésil est insuffisant pour représenter la pluralité des intérêts et des pratiques relatives aux économies des œuvres intellectuelles. [5] À cet égard, la loi brésilienne adopte des normes de protection exacerbée et est sensiblement plus restrictives que celles exigées par les traités internationaux où la loi de la plupart des pays développés (comme en amérique du nord ou en Europe). Ainsi, il s’agit aujourd’hui d’importants obstacles à l’éducation, l’innovation, le développement et l’accès, à la propriété intellectuelle.
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Il y a aussi la nécessité d’une réglementation de la société de gestion collective de la musique ECAD – l’entité qui gagne plus de 400 millions de reais chaque année au nom de tous les musiciens dans le pays, et dont les activités ne sont pas soumises à un examen public. [6] Rappelez-vous, l’ECAD a été la cible d’enquêtes du Congrès, et est sous enquête par le Secrétariat du droit économique, sur le soupçon de conduite préjudiciable à la concurrence. Nous croyons que, pour assurer une plus grande transparence et contrôle de son fonctionnement n’apportera que des avantages pour toute la chaîne de la musique dans le pays, et le renforcement de l’ECAD en tant qu’institution, en rendant difficile la capture par des groupes privés.
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À cet égard, le Ministère de la Culture a mené un vaste processus de consultation publique visant à réformer la Loi sur le droit d’auteur au cours des dernières années, avec des séminaires et des discussions à travers le pays. Ce processus, achevé en 2010, a abouti à la consultation publique pour la réforme de la Loi sur le droit d’auteur, officiellement détenus par le Ministère des Affaires Civiles à l’Internet.
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Les résultats de ces discussions et de la consultation publiques, sont très riches. [7] La société brésilienne a eu une occasion sans précédent de participer et donner son avis sur cette question, et les contributions ont été nombreuses, très solides et d’un grand poids. Maintenant, nous craignons que tout ce processus soit négligé. Ou que la participation large et ouverte de la société soit remplacée par une « commission de notables » ou « d’avocats » chargés de donner leur points de vue partial sur le sujet. La société brésilienne et tous ceux qui ont eu l’occasion de se manifester au cours des dernières années ne peuvent et ne doivent pas être substitués, négligés ou ignorés. La réforme du droit d’auteur devrait procéder sur la base des opinions largement reçues. C’est le devoir du ministère républicain de la culture, indépendamment de l’opinion personnelle de ceux qui le dirigent.
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Ces dernières années ont vu des progrès significatifs dans l’assimilation par le Ministère de la Culture de l’importance de la culture numérique. Il s’agit d’un aller sans retour. De plus en plus, l’environnement numérique sera essentiel et influent, tant en termes de créativité qu’en termes économiques ou de formation de la culture. Ainsi, il est essentiel que le Ministère de la culture soit capable et actif dans le traitement des questions telles que les logiciels libres, les modèles de licences ouvertes et libres, la production collaborative de connaissances, de nouvelles économies provenant de la numérisation de la musique, des livres et de l’audiovisuel, et ainsi de suite. Beaucoup de progrès ont été accomplis ces dernières années. Et il reste encore beaucoup à faire. Un changement de direction par le ministère de la culture, ferait perdre tout le travail effectué ainsi qu’une occasion historique pour le Brésil d’entraîner, comme il est déjà en train de le faire, cette discussion au niveau mondial, en listant des moyens et des alternatives rationnels et innovants, sans peur d’innover et sans coller à l’influence des modèles prêchés par l’industrie culturelle des États-Unis ou des pays Européens.
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Pour autant, nous espérons que la Ministre de la Culture aura la sensibilité pour comprendre les transformations que la culture a connues ces dernières années, et que les formules anciennes ne peuvent résoudre les nouveaux problèmes qui se posent à l’heure du numérique.
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Nous demeurons disponibles pour poursuivre notre coopération avec le Ministère de la Culture, dans la certitude que nous pouvons partager notre vision et nos objectifs.
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Références: