Analyse de la version du projet Olivennes soumise au Conseil d’État

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Une première analyse de la version du projet Olivennes soumise au Conseil d’État, publiée ici en exclusivité. Une vue générale de la riposte graduée est également disponible ici.

Mort sociale numérique et juridiction d’exception

Comme précédemment, familles, associations, entreprises pourront être mis, sous surveillance électronique et bannies d’internet par une autorité administrative indépendante connue sous le nom d’HADOPI, sur la seule base de relevés informatiques et sans avoir pu se défendre. Pourtant, le fait de bannir un internaute négligent a été condamné par le Parlement Européen le 10 avril dernier car disproportionné : on ne peut par exemple pas priver d’internet une famille entière sous prétexte que le père de famille n’a pas réussi à empêcher ses enfants et leurs copains de télécharger un film à deux reprises. Le Parlement européen a clairement rappelé qu’Internet est devenu un droit impératif pour l’inclusion sociale et que l’interruption d’un accès internet va à l’encontre des droits de l’Homme.

Chantage à la sanction automatique

L’HADOPI pourra proposer une transaction consistant en une coupure de un à six mois, si des faits répétés sont reconnus par l’accusé. Si l’abonné refuse de faire pénitence à tort ou à raison, la peine n’en sera que plus longue et automatique : en cas de refus de la transaction proposée, c’est un an de bannissement. Un tel mécanisme s’assimile ni plus ni moins qu’à un chantage visant à permettre à l’autorité d’obtenir un grand nombre de décisions par la peur rapidement, sans aucune preuve d’une quelconque infraction.

Plus de gradation dans la riposte et double peine

Le régime est le même pour toute personne, qu’elle soit morale ou physique mais la proposition de transaction n’a rien d’obligatoire pour l’autorité. « Le caractère répété des manquements s’apprécie [désormais] sur une période d’une année », et non plus suite à l’envoi de deux messages. L’autorité peut donc ordonner la coupure à sa guise. Cette procédure ne met pas fin aux éventuelles poursuites pour contrefaçon, ce qui institue un mécanisme de double peine.

Des mouchards étatiques obligatoires payants et … inexistants.

Autre changement notable, les fournisseurs d’accès n’ont plus obligation de fournir gratuitement les dispositifs « efficaces » que l’abonné devra installer pour tenter d’éviter que son accès soit utilisé à des fins frauduleuses par des tiers, et qu’ils soient donc condamnés pour des faits commis par d’autres. Les FAI doivent simplement informer sur l’existence de ces dispositifs obligatoires qui sont désormais listés pas l’HADOPI elle même.

Reste à démontrer que de tels dispositifs de filtrage « efficaces » existent comme le prétend la loi, à expliquer comment prouver qu’ils étaient installés si ils existent, comment prouver qu’ils ont dysfonctionné ou qu’ils ont été contournés, quel sera leur coût pour l’abonné, quelle connaissance devra-t-il avoir et quelles seront les procédures pour voir son produit figurer dans la liste des dispositifs permettant d’assurer tant bien que mal sa sécurité juridique (le logiciel libre par exemple sera vraisemblablement banni), etc…

Rupture d’égalité devant la loi, violation des droits de la défense

Seuls les abonnés dont la coupure de l’accès internet entraînerait la coupure du téléphone ou de la télévision ne seront pas sanctionnés, en violation flagrante du principe d’égalité devant la loi. Aucune procédure de recours suspensif n’est prévue par la loi pour les autres, des modalités de recours ultérieurs à la sanction et devant la juridiction administrative seront fixées après par décret. Un autre décret fixera les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant l’autorité. Le respect des droits de la défense est donc complètement ignoré par cette loi.

Milices privées et extension de mesures d’exception

Les abonnés seront évidemment toujours dénoncés par les sociétés privées balayant internet à la recherche d’atteintes présumées à des droits dont on ne sait comment la titularité sera prouvée. Les agents de l’HADOPI désignés par arrêté du ministère de la culture qui recevront les dénonciations disposeront, pour leur part, des mêmes pouvoirs que les unités de lutte contre le terrorisme en matière d’accès aux données de connexion. Ils pourront plus largement se faire délivrer tout document qu’ils estimeront nécessaires dans la poursuite de leur enquête, constater la matérialité de faits à distance et ne seront aucunement limités dans la poursuite de faits qu’ils pourraient découvrir quand ils examineront les données de connexion (et qui étaient donc conservées à l’origine exclusivement pour lutter contre le terrorisme).

Surveillance et fichage de masse

Les abonnés accusés par ces super-fonctionnaires de l’anti-copie pourront appeler la hot-line de l’autorité pour tenter de se défendre, en fait négocier une durée de banissment moindre. Pendant l’année qui suivra leur dénonciation, ils feront l’objet d’une surveillance administrative (dans des conditions définies elles aussi ultérieurement).

Les abonnés finalement bannis seront fichés le temps de leur exclusion dans un fichier national des bannis. Aucun opérateur ne pourra leur ouvrir un accès sous peine d’amende de 5000 euros. En tout un internaute peut être fiché deux années (un an de surveillance, un an de bannissement).

L’HADOPI également juridiction d’exception pour les FAI et hébergeurs

Enfin, l’autorité admnistrative se substituera au juge de premier instance statuant sur requête en cas de litige relatif au droit d’auteur commis sur internet . Elle pourra ainsi « ordonner toute mesure propre à faire cesser ou à prévenir une atteinte à un tel droit occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne.» Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application de cette disposition. En plus de la coupure d’accès des abonnés, l’HADOPI pourra donc ordonner le filtrage des contenus aux intermédiaires techniques suivant une procédure à ce jour également inconnue.