Rapport Hadopi au Sénat : le pire est devant nous !

Posted on


Paris, le 9 juillet 2015 — Le rapport présenté ce matin par les sénateurs Corinne Bouchoux et Loic Hervé avance 12 propositions relatives à l’évolution des missions de la Hadopi. Ces mesures dressent un véritable catalogue du pire, reprenant des idées dangereuses énoncées auparavant et en ajoutant d’autres. Faute d’avoir le courage de rompre avec une riposte graduée illégitime et dépassée, les sénateurs sont conduits à une véritable fuite en avant, susceptible de fragiliser encore les libertés sur Internet, sans apporter aucune piste tangible pour la soutenabilité de la création à l’heure du numérique.

Plutôt que de supprimer une riposte graduée notoirement inefficace, la mission sénatoriale de C. Bouchoux et L. Hervé propose de la maintenir, en remplaçant la sanction judiciaire actuellement prévue par une amende administrative prononcée directement par la Hadopi. Une telle idée, soufflée par le lobby des sociétés de gestion collective et des industries culturelles, aurait pour effet d’extra-judiciariser le processus, là où le Conseil constitutionnel en 2009 avait fait en sorte de maintenir la présence du juge. L’artifice ici proposé de créer une commission des sanctions « indépendante » au sein même de la Hadopi n’offre pas les garanties suffisantes en matière de respect des droits. C’est une mise à disposition de la Hadopi comme gendarme au service des intérêts privés des ayants droit et financé par l’argent public, qui est ici préconisée.


image : Katan

Par ailleurs, le rapport s’inspire lourdement des préconisations antérieures de Mireille Imbert-Quaretta pour « muscler » les prérogatives de la Hadopi en matière de lutte contre la « contrefaçon commerciale ». On y retrouve notamment l’idée de confier à la Hadopi la tâche de dresser une « liste noire » de sites « massivement contrefaisants », toujours sans intervention du juge. Les sénateurs proposent aussi de confier à la Hadopi le soin de mettre en œuvre un dispositif « Notice And Stay Down » pour empêcher la réapparition des œuvres signalées par les ayants droit sur les plateformes, ce qui aurait pour conséquences de les pousser à surveiller les contenus qu’ils hébergent et de les transformer en une « police privée du droit d’auteur ».

C. Bouchoux et L. Hervé apportent également leur soutien aux démarches visant depuis le début de l’année à faire signer aux intermédiaires de la publicité ou du paiement en ligne des chartes avec les titulaires de droits les engageant à ne pas proposer leurs services aux plateformes de streaming et de téléchargement direct. La Quadrature du Net a plusieurs fois dénoncé ces dispositifs, qui contournent à la fois le juge et le législateur, et il est particulièrement choquant de voir des parlementaires apporter leur caution à cette stratégie.

Enfin, le rapport relaie encore une fois une revendication portée par les industries culturelles et les sociétés de gestion collective visant à remettre en cause le statut des hébergeurs en agissant au niveau européen sur la directive « Commerce électronique ». Cette protection est pourtant nécessaire à la liberté d’expression sur Internet, sous peine de déléguer des pouvoirs de censure privée aux plateformes. Nous pouvons déjà le constater sur les sites les plus engagés dans des collaborations avec les ayants droit comme Youtube, où le déploiement de processus de reconnaissance automatisée des œuvres aboutit à de fréquents dommages collatéraux. C’est pourtant ce type de solutions robotisées d’application du droit d’auteur que la mission sénatoriale appelle de ses vœux.

Auditionnée par cette mission, La Quadrature du Net a fait valoir que seule une légalisation du partage non marchand des œuvres entre individus est à même d’assainir une situation que la riposte graduée mise en œuvre par la Hadopi a grandement contribué à dégrader, en incitant les internautes à se détourner des moyens décentralisés de partage (peer-to-peer) au profit de sites marchands (streaming, direct download). Tant que les politiques n’auront pas le courage de revenir sur cette erreur fondamentale qui était au cœur de la loi Hadopi, ils ne peuvent qu’être entraînés dans cette fuite en avant délétère à laquelle les incitent aveuglément les lobbies des industries culturelles, avec à la clé un immense gâchis d’argent public et de compétences.

« Les citoyens doivent rester vigilants, car si la prochaine loi sur la Création, présentée en Conseil des ministres cette semaine par Fleur Pellerin ne semble pas comporter de volet répressif, un rapport comme celui du Sénat pourrait augurer d’une tactique d’embuscade parlementaire introduisant par voie d’amendements ces mesures dangereuses dans le texte » déclare Lionel Maurel, membre du Conseil d’Orientation Stratégique de La Quadrature du Net.