Projet de loi « terrorisme » : le Sénat adopte le projet de loi liberticide

Posted on


Paris, le 16 octobre 2014 — Après deux jours de discussion, le Sénat vient d’adopter le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme par 317 votes pour et 28 contre, en première et unique lecture. Si certains sénateurs ont courageusement lutté contre les dispositions liberticides du projet mené par le ministre Bernard Cazeneuve, La Quadrature du Net se désole que la discussion législative n’ait pas permis de corriger substantiellement un projet de loi inadapté et dangereux. Le texte sera examiné en commission mixte paritaire dans les semaines qui viennent, où il sera probablement adopté sans réelle modification.

Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur du Projet de loi « Terrorisme »
Jean-Jacques Hyest (UMP), co-rapporteur
du projet de loi au Sénat

Au cours de l’après-midi, le projet de loi défendu par Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, refusant toute évolution de sa position, et repoussant d’un revers de main toutes les alertes de la société civile, a été voté avec l’ensemble de ses dispositions dangereuses : interdiction administrative de sortie du territoire, création du délit d’entreprise individuelle terroriste, blocage administratif des sites Internet, modifications substantielles de la procédure pénale au-delà des actes de terrorisme.

Pire, le Sénat a consacré une grave atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale en réintégrant l’article 4 relatif à l’apologie et de la provocation au terrorisme dans la loi de 1881, sauf lorsque ces faits sont commis sur Internet. Dans l’esprit du ministre et de nombreux sénateurs, Internet est un danger en soi qui mérite une telle dérogation : le vote de cet amendement introduit une inégalité flagrante entre Internet et les autres modes de communications, déjà sanctionnée par le passé par le Conseil constitutionnel1Conseil constitutionnel, Décision n°2006-540, DADVSI, du 27 juillet 2006, considérants 63 à 65 : 63. Considérant que l’article 24 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 335-11 qui a pour objet de soustraire certains agissements aux dispositions applicables aux délits de contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique ; qu’il prévoit que seront désormais constitutives de contraventions, et non plus de délits, d’une part, « la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d’une œuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin « lorsqu’ils auront été « mis à disposition au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair », d’autre part, « la communication au public, à des fins non commerciales », de tels objets « au moyen d’un service de communication au public en ligne, lorsqu’elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction « au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair ;
64. Considérant que les requérants soutiennent que cette disposition méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale en instituant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du droit d’auteur ou des droits voisins, selon qu’elles utilisent un logiciel de pair à pair ou un autre moyen de communication électronique ; qu’ils reprochent également au législateur d’avoir méconnu le principe de légalité des délits et des peines ; qu’ils estiment enfin que la loi ne contient aucune disposition relative aux modes de preuve de ces infractions et qu’elle est entachée d’incompétence négative ;
65. Considérant qu’au regard de l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d’objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu’elles utilisent un logiciel d’échange de pair à pair ou d’autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d’échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu’instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l’article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l’égalité devant la loi pénale ; qu’il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, de le déclarer contraire à la Constitution ;
, et une confusion grave entre outil et contenu, vecteur de communication et audience réelle.

Le choix du gouvernement de discuter ce projet de loi en procédure accélérée, complètement injustifié2Dans son avis relatif à ce projet de loi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme écrit à ce sujet : A ce propos, il convient de préciser que le présent projet de loi a été élaboré dans le contexte de la récente affaire Nemmouche et moins de deux ans après une loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 sur la Sécurité et la lutte contre le terrorisme. Une urgence qui étonne d’autant plus qu’au lendemain de l’affaire Merah, survenue au mois de mars 2012, il est rapidement apparu que certains jeunes, acquis aux idées d’un islamisme radical, quittaient la France pour s’entraîner à l’étranger au maniement des armes avec le projet de revenir commettre des infractions sur le territoire français. Il aura donc fallu près de deux ans au Gouvernement pour réaliser l’urgence d’une réforme qui aurait pu se faire dans le cadre de celle de décembre 2012, dont plusieurs dispositions abordaient déjà cette question. La CNCDH ne peut que déplorer cette prolifération de textes législatifs, relevant davantage de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi, et rendant le droit imprécis, voire indéchiffrable et contradictoire, pour les professionnels du droit et a fortiori pour le simple citoyen. S’agissant plus précisément de la législation récente relative au terrorisme, la doctrine la plus autorisée a relevé ses faiblesses rédactionnelles, sources d’ambigüités et de redondances. Dans ces conditions, la CNCDH rappelle l’importance d’une politique pénale réfléchie, cohérente, stable et lisible, dont la qualité ne se mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers ou aux circonstances du moment. L’empilement des réformes dans les domaines sécuritaire et pénal révèle malheureusement l’extrême segmentation des sujets traités et, trop souvent, une absence de réflexion d’ensemble.
, lui aura permis d’évacuer du débat législatif un examen approfondi des dispositions les plus dangereuses – a fortiori en période de renouvellement de l’une des deux chambres – malgré le travail courageux de certains sénateurs. Le texte, légèrement modifié par rapport à celui adopté à l’Assemblée nationale, sera examiné et harmonisé en commission mixte paritaire au cours des prochaines semaines, où il sera probablement définitivement adopté sans modification substantielle.

« Si les sénateurs ont fait un réel effort de travail sur ce texte néfaste, celui-ci a été malheureusement voté avec l’ensemble des dispositions dangereuses que La Quadrature du Net et de nombreux autres acteurs de l’Internet ou défenseurs des libertés publiques dénoncent depuis plusieurs mois. Pourrons-nous espérer un sursaut de courage de nos parlementaires pour porter ce texte devant le Conseil Constitutionnel, afin d’en vérifier la conformité avec le texte fondateur de la Vème République ? En démocratie, les élus ne devraient pas craindre un tel examen. Nous ne pouvons accepter un tel traitement inadapté et liberticide de questions aussi graves que la lutte contre le terrorisme » déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.

References

References
1 Conseil constitutionnel, Décision n°2006-540, DADVSI, du 27 juillet 2006, considérants 63 à 65 : 63. Considérant que l’article 24 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 335-11 qui a pour objet de soustraire certains agissements aux dispositions applicables aux délits de contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique ; qu’il prévoit que seront désormais constitutives de contraventions, et non plus de délits, d’une part, « la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d’une œuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin « lorsqu’ils auront été « mis à disposition au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair », d’autre part, « la communication au public, à des fins non commerciales », de tels objets « au moyen d’un service de communication au public en ligne, lorsqu’elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction « au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair ;
64. Considérant que les requérants soutiennent que cette disposition méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale en instituant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du droit d’auteur ou des droits voisins, selon qu’elles utilisent un logiciel de pair à pair ou un autre moyen de communication électronique ; qu’ils reprochent également au législateur d’avoir méconnu le principe de légalité des délits et des peines ; qu’ils estiment enfin que la loi ne contient aucune disposition relative aux modes de preuve de ces infractions et qu’elle est entachée d’incompétence négative ;
65. Considérant qu’au regard de l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d’objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu’elles utilisent un logiciel d’échange de pair à pair ou d’autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d’échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu’instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l’article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l’égalité devant la loi pénale ; qu’il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, de le déclarer contraire à la Constitution ;
2 Dans son avis relatif à ce projet de loi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme écrit à ce sujet : A ce propos, il convient de préciser que le présent projet de loi a été élaboré dans le contexte de la récente affaire Nemmouche et moins de deux ans après une loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 sur la Sécurité et la lutte contre le terrorisme. Une urgence qui étonne d’autant plus qu’au lendemain de l’affaire Merah, survenue au mois de mars 2012, il est rapidement apparu que certains jeunes, acquis aux idées d’un islamisme radical, quittaient la France pour s’entraîner à l’étranger au maniement des armes avec le projet de revenir commettre des infractions sur le territoire français. Il aura donc fallu près de deux ans au Gouvernement pour réaliser l’urgence d’une réforme qui aurait pu se faire dans le cadre de celle de décembre 2012, dont plusieurs dispositions abordaient déjà cette question. La CNCDH ne peut que déplorer cette prolifération de textes législatifs, relevant davantage de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi, et rendant le droit imprécis, voire indéchiffrable et contradictoire, pour les professionnels du droit et a fortiori pour le simple citoyen. S’agissant plus précisément de la législation récente relative au terrorisme, la doctrine la plus autorisée a relevé ses faiblesses rédactionnelles, sources d’ambigüités et de redondances. Dans ces conditions, la CNCDH rappelle l’importance d’une politique pénale réfléchie, cohérente, stable et lisible, dont la qualité ne se mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers ou aux circonstances du moment. L’empilement des réformes dans les domaines sécuritaire et pénal révèle malheureusement l’extrême segmentation des sujets traités et, trop souvent, une absence de réflexion d’ensemble.

Posted in