Neutralité du Net : le Parlement européen doit amender la dangereuse proposition de Kroes

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Paris, 5 décembre 2013 – Ce lundi 9 décembre, la rapporteur Pilar del Castillo Vera (PPE – Espagne) présentera à la commission « Industrie » (ITRE) son projet de rapport sur la proposition de Neelie Kroes pour le règlement du Paquet Télécom. Les citoyens doivent appeler les eurodéputés à amender ce rapport afin que la notion de « service spécialisé d’un niveau de qualité de service supérieur » y soit précisement définie et qu’il garantisse une véritable et inconditionnelle neutralité du Net.

Neelie Kroes et un chaton

La proposition pour le règlement du Paquet Télécom, publiée le 11 septembre par Neelie Kroes malgré les vives critiques exprimées tant à l’extérieur1Le Contrôleur européen de la protection des données a par exemple déclaré dans un communiqué de presse publié le 15 novembre que le principe de neutralité du Net était « dépourvu de sa substance en raison du droit presque illimité des fournisseurs d’accès de gérer le trafic Internet » dans la proposition de Neelie Kroes. Des organisations citoyennes ont également largement critiqué cette proposition. qu’au sein de la Commission européenne2Une critique fuitée rédigée par les services de la commissaire Viviane Redding souligne par exemple que « des capacités d’accès aux contenus et services en ligne de leurs choix aussi limitées iraient à l’encontre des objectifs de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. » (traduit par nos soins) : http://www.edri.org/NN-negativeopinions, prétend défendre le principe de neutralité du Net en exigeant à son article 23.5 que « les services d’accès à l’internet, les fournisseurs de services d’accès à l’internet ne restreignent pas les libertés prévues au paragraphe 1 en bloquant, en ralentissant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques »3Proposition pour le règlement du Paquet Télécom, article 23.5 :
« 5. Dans les limites des débits et des volumes de données définis par contrat, le cas échéant, pour les services d’accès à l’internet, les fournisseurs de services d’accès à l’internet ne restreignent pas les libertés prévues au paragraphe 1 en bloquant, en ralentissant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou certaines catégories précises de contenus, d’applications ou de services, sauf s’il s’avère nécessaire d’appliquer des mesures de gestion raisonnable du trafic. Les mesures de gestion raisonnable du trafic sont transparentes, non discriminatoires, proportionnés et nécessaires pour:
a) mettre en œuvre une disposition législative ou une décision de justice ou prévenir ou lutter contre les infractions graves;
b) préserver l’intégrité et la sûreté du réseau, des services fournis par l’intermédiaire de ce réseau et des terminaux des utilisateurs finaux;
c) prévenir la transmission de communications non sollicitées aux utilisateurs finaux qui ont donné leur accord préalable à ces mesures restrictives;
d) réduire au minimum les effets d’une congestion temporaire ou exceptionnelle du réseau pour autant que les types de trafic équivalents fassent l’objet d’un traitement identique.
Les mesures de gestion raisonnable du trafic impliquent uniquement le traitement de données qui est nécessaire et proportionné à la réalisation des objectifs fixés dans le présent paragraphe. »
.

Ironiquement, la proposition enfreint ce principe avant même de l’avoir mis en place, autorisant à son article 23.2 la fourniture de « service spécialisé d’un niveau de qualité de service supérieur » – c’est-à-dire, des services offrant une priorisation. Alors qu’il pourrait être acceptable que des services soient priorisés sur des réseaux privés – du moment que ces services n’entrent pas en concurrence avec d’autres services Internet existants4À propos de la priorisation de services concurrençant des services Internet, La Quadrature du Net propose d’ouvrir une réflexion après l’adoption de ce règlement, afin de considérer la possibilité d’autoriser la priorisation de certaines communications sur Internet, en respectant ces trois conditions :

  • qu’une telle qualité de service puisse être appliquée de façon non discriminante à différents services ou applications en ligne (« application-agnostic ») 
  • qu’elle reste sous le contrôle total de l’utilisateur, afin de préserver les caractéristiques clés de la structure de l’Internet 
  • que le modèle de l’Internet “best-effort” soit protégé de toute dégradation causée par le développement de services à qualité garantie, en lui assurant par exemple une « qualité de service suffisante » (une notion déjà appliquée par certains pays inspiré du Paquet Télécom de 2009).

–, la proposition va bien plus loin et réutilise ce concept en l’étendant à Internet dans son ensemble. La Commission entend ainsi confier le contrôle de telles discriminations aux fournisseur d’accès à Internet et aux grands fournisseurs de contenus, les autorisant à « conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic ou des volumes de données y afférents sous la forme de services spécialisés d’un niveau de qualité de service défini ou d’une capacité dédiée »5Proposition pour le règlement du Paquet Télécom, article 23.2 :
« 2. Les utilisateurs finaux sont également libres de conclure un accord soit avec des fournisseurs de communications électroniques au public soit avec des fournisseurs de contenus, d’applications et de services sur la fourniture de services spécialisés d’un niveau de qualité de service supérieur.
Afin de permettre la fourniture de services spécialisés aux utilisateurs finaux, les fournisseurs de contenus, d’applications et de services et les fournisseurs de communications électroniques au public sont libres de conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic ou des volumes de données y afférents sous la forme de services spécialisés d’un niveau de qualité de service défini ou d’une capacité dédiée. La fourniture de ces services spécialisés ne porte pas atteinte d’une manière récurrente ou continue à la qualité générale des services d’accès à l’internet. »
. Une telle priorisation de certains services sur Internet affecterait ici des millions de communications, d’individus et d’entreprises, et ne reposerait que sur des accords commerciaux conclus entre les acteurs dominants de l’économie numérique. Dans le même temps, les nouveaux entrants plus petits et des acteurs innovants ne pourraient pas entrer dans de telles négociations et seraient de facto dépriorisés. La liberté de communication fondée sur l’architecture point à point de l’Internet serait aussi sévèrement affaiblie.

Del Castillo Vera
Del Castillo Vera

Le projet de rapport qui sera présenté ce lundi 9 décembre par Pilar del Castillo Vera (PPE – Espagne) – rapporteur de la commission ITRE – conserve ces dispositions, spécifiant encore plus explicitement que les « technologies utilisées pour assurer la fourniture du service d’un niveau de qualité plus élevé » pourront de fait nuire à « la qualité générale de l’accès à l’internet »6Projet de rapport de Pilar del Castillo sur la proposition de règlement, amendement 103 :
« Les utilisateurs finaux sont également libres de conclure un accord soit avec des fournisseurs de communications électroniques au public soit avec des fournisseurs de contenus, d’applications et de services sur la fourniture de services spécialisés d’un niveau de qualité de service supérieur. Lorsque des accords de ce type sont conclus avec le fournisseur d’accès à l’internet, ce fournisseur devrait s’assurer que le service d’un niveau de qualité plus élevé ne nuit pas à la qualité générale de l’accès à l’internet, sauf dans la mesure éventuellement nécessaire compte tenu de l’état d’avancement des technologies utilisées pour assurer la fourniture du service d’un niveau de qualité plus élevé. » (le texte en gras représente les parties ajoutées)
.

Les citoyens doivent appeler les eurodéputés à amender la proposition de règlement afin de mieux définir la nature et les caractéristiques des services spécialisés, et :

  • énoncer clairement qu’un service spécialisé ne peut être fourni qu’au sein du réseau de communication fermé d’un opérateur, c’est-à-dire séparément du service d’accès à Internet (selon la définition fournie par l’autorité de régulation des télécoms) ;
  • garantir qu’aucun service fonctionnellement identique à d’autres services disponibles sur l’Internet public ne soit éligible à une qualité de service supérieure (afin d’assurer que le principe de neutralité du Net ne soit pas contourné au moyen du développement de services spécialisés).

Les membres du Parlement européen doivent également mieux définir le principe de neutralité du Net (article 23.1) afin de couvrir la liberté de connecter toute machine au réseau (en particulier des serveurs, afin de promouvoir l’auto-hébergement, qui peut jouer un rôle crucial dans la prise de contrôle des citoyens sur leurs outils de communication sur Internet) et mettre en place des procédures d’application et des sanctions effectives contre les opérateurs qui violeraient le principe fondamental de neutralité du Net.

« Neelie Kroes et la rapporteur du texte au Parlement européen tentent de légitimer la priorisation en faveur des entreprises dominantes sur Internet en détournant de son sens la notion de « services spécialisés ». La discrimination de services en ligne mettrait en danger l’architecture décentralisée qui a permis le développement d’Internet au cours des dernières décennies. Nous ne pouvons pas laisser les opérateurs télécom choisir les informations auxquelles nous accédons et décider comment nous y accédons sans renoncer au potentiel d’Internet pour la créativité et l’innovation. Les citoyens doivent contacter leurs eurodéputés et les appeler à définir correctement la notion de « services spécialisés » afin de garantir qu’ils se limitent aux réseaux privés et n’entrent pas en concurrence déloyale avec des services Internet existants » conclut Félix Tréguer, cofondateur de l’association La Quadrature du Net.

Agissons maintenant !

En tant que plateforme citoyenne, La Quadrature du Net met à disposition le PiPhone, un outil en ligne permettant d’appeler gratuitement les membres de la commission ITRE :

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References

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1 Le Contrôleur européen de la protection des données a par exemple déclaré dans un communiqué de presse publié le 15 novembre que le principe de neutralité du Net était « dépourvu de sa substance en raison du droit presque illimité des fournisseurs d’accès de gérer le trafic Internet » dans la proposition de Neelie Kroes. Des organisations citoyennes ont également largement critiqué cette proposition.
2 Une critique fuitée rédigée par les services de la commissaire Viviane Redding souligne par exemple que « des capacités d’accès aux contenus et services en ligne de leurs choix aussi limitées iraient à l’encontre des objectifs de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. » (traduit par nos soins) : http://www.edri.org/NN-negativeopinions
3 Proposition pour le règlement du Paquet Télécom, article 23.5 :
« 5. Dans les limites des débits et des volumes de données définis par contrat, le cas échéant, pour les services d’accès à l’internet, les fournisseurs de services d’accès à l’internet ne restreignent pas les libertés prévues au paragraphe 1 en bloquant, en ralentissant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou certaines catégories précises de contenus, d’applications ou de services, sauf s’il s’avère nécessaire d’appliquer des mesures de gestion raisonnable du trafic. Les mesures de gestion raisonnable du trafic sont transparentes, non discriminatoires, proportionnés et nécessaires pour:
a) mettre en œuvre une disposition législative ou une décision de justice ou prévenir ou lutter contre les infractions graves;
b) préserver l’intégrité et la sûreté du réseau, des services fournis par l’intermédiaire de ce réseau et des terminaux des utilisateurs finaux;
c) prévenir la transmission de communications non sollicitées aux utilisateurs finaux qui ont donné leur accord préalable à ces mesures restrictives;
d) réduire au minimum les effets d’une congestion temporaire ou exceptionnelle du réseau pour autant que les types de trafic équivalents fassent l’objet d’un traitement identique.
Les mesures de gestion raisonnable du trafic impliquent uniquement le traitement de données qui est nécessaire et proportionné à la réalisation des objectifs fixés dans le présent paragraphe. »
4 À propos de la priorisation de services concurrençant des services Internet, La Quadrature du Net propose d’ouvrir une réflexion après l’adoption de ce règlement, afin de considérer la possibilité d’autoriser la priorisation de certaines communications sur Internet, en respectant ces trois conditions :

  • qu’une telle qualité de service puisse être appliquée de façon non discriminante à différents services ou applications en ligne (« application-agnostic ») 
  • qu’elle reste sous le contrôle total de l’utilisateur, afin de préserver les caractéristiques clés de la structure de l’Internet 
  • que le modèle de l’Internet “best-effort” soit protégé de toute dégradation causée par le développement de services à qualité garantie, en lui assurant par exemple une « qualité de service suffisante » (une notion déjà appliquée par certains pays inspiré du Paquet Télécom de 2009).

5 Proposition pour le règlement du Paquet Télécom, article 23.2 :
« 2. Les utilisateurs finaux sont également libres de conclure un accord soit avec des fournisseurs de communications électroniques au public soit avec des fournisseurs de contenus, d’applications et de services sur la fourniture de services spécialisés d’un niveau de qualité de service supérieur.
Afin de permettre la fourniture de services spécialisés aux utilisateurs finaux, les fournisseurs de contenus, d’applications et de services et les fournisseurs de communications électroniques au public sont libres de conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic ou des volumes de données y afférents sous la forme de services spécialisés d’un niveau de qualité de service défini ou d’une capacité dédiée. La fourniture de ces services spécialisés ne porte pas atteinte d’une manière récurrente ou continue à la qualité générale des services d’accès à l’internet. »
6 Projet de rapport de Pilar del Castillo sur la proposition de règlement, amendement 103 :
« Les utilisateurs finaux sont également libres de conclure un accord soit avec des fournisseurs de communications électroniques au public soit avec des fournisseurs de contenus, d’applications et de services sur la fourniture de services spécialisés d’un niveau de qualité de service supérieur. Lorsque des accords de ce type sont conclus avec le fournisseur d’accès à l’internet, ce fournisseur devrait s’assurer que le service d’un niveau de qualité plus élevé ne nuit pas à la qualité générale de l’accès à l’internet, sauf dans la mesure éventuellement nécessaire compte tenu de l’état d’avancement des technologies utilisées pour assurer la fourniture du service d’un niveau de qualité plus élevé. » (le texte en gras représente les parties ajoutées)