Neutralité du Net: La Commission européenne lâche utilisateurs et innovateurs

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Paris, le 19 avril 2011 – La Commissaire européenne à l’économie numérique, Neelie Kroes, a remis au Parlement européen son rapport sur la neutralité du Net. Ce document extrêmement décevant écarte toute mesure immédiate contre les opérateurs télécom qui restreignent en permanence l’accès à Internet des citoyens européens. En se cachant derrière de faux arguments libéraux, Mme Kroes laisse faire des pratiques anti-concurrentielles qui portent atteinte à la liberté de communication et à l’innovation dans l’environnement numérique.

Le rapport tant attendu1Durant la révision des directives du « paquet telecom », les institutions européennes ont soigneusement évité de résoudre les sérieuses entraves à la neutralité du Net pratiquées par les opérateurs à des fins commerciales. Fin 2009, à l’issue de la procédure législative, la Commission européenne avait néanmoins promis au Parlement européen un rapport sur la question avant la fin 2010. publié aujourd’hui échoue à proposer une politique protégeant l’Internet libre, ouvert, et donc neutre. Soumise à une forte pression, Neelie Kroes évite consciencieusement toute action concrète pour réguler les pratiques des fournisseurs d’accès discriminant le trafic de leurs abonnés. Le rapport recycle en réalité les arguments des lobbyistes des télécoms, en les présentant comme des vérités consensuelles2Par exemple, il justifie le blocage du trafic des réseaux peer-to-peer comme étant « parfaitement légitime » pour gérer l’encombrement du réseau, ignorant totalement que l’architecture pair à pair a été un facteur clé de l’immense croissance d’Internet et de la variété de ses applications. Si la politique de Neelie Kroes avait été implémentée dans les années 80, Internet tel qu’on le connait n’existerait tout simplement pas..

La semaine dernière, une mission trans-partisane de l’Assemblée Nationale publiait un rapport dénonçant les pratiques anti-concurrentielles et dangereuses des opérateurs. Le document s’appuie sur une définition rigoureuse de la neutralité du Net afin de proposer une régulation pro-active3Le rapport appelle à une protection législative de la neutralité du Net, qui est définie comme « la capacité pour les utilisateurs d’internet d’envoyer et de recevoir le contenu de leur choix, d’utiliser les services ou de faire fonctionner les applications de leur choix, de connecter le matériel et d’utiliser les programmes de leur choix, dès lors qu’ils ne nuisent pas au réseau, avec une qualité de service transparente, suffisante et non discriminatoire (…) ». À la différence de la Commission, les députés français font une interprétation stricte du principe de non-discrimination, en affirmant que tous les types de trafic doivent être traités de la même manière, et rejetant ainsi la différentiation de trafic (qui permet de traiter différemment les fux selon le type de trafic). Voir p. 71 du rapport.. Le rapport de Neelie Kroes fait le choix contraire, en faisant de ce principe fondateur un simple enjeu de concurrence, estimant qu’il n’y a aucun problème et que toute pratique répréhensible sera de toute façon corrigée par le marché.

« Ce rapport est très décevant et va à l’encontre des multiples déclarations de la Commissaire Neelie Kroes sur l’importance de préserver la neutralité du Net pour protéger les libertés fondamentales des citoyens européens. De manière assez honteuse, la Commission croit que la neutralité du Net est compatible avec la différenciation de trafic sur l’Internet public. Cela va dans le sens des opérateurs télécoms, qui veulent augmenter leurs marges en discriminant les communications de leurs utilisateurs. » déclare Félix Tréguer, chargé des dossiers institutionnels et juridiques à la Quadrature du Net.

À en croire le rapport de Neelie Kroes, la mauvaise presse que subiraient les opérateurs et le passage des utilisateurs d’un opérateur à un autre suffiraient à régler les atteintes à la neutralité du Net. Mais cet angélisme économique ne passe pas l’épreuve des faits. En pratique, des millions d’utilisateurs ne peuvent choisir qu’un seul et unique opérateur pour se connecter à Internet, pour des raisons géographiques ou économiques.

« Mme Kroes se cache derrière de faux arguments libéraux pour ne pas agir, prétextant que les lois sur la concurrence et la consommation sont suffisantes pour résoudre le problème. Or, dans la plupart des États-membres, les opérateurs de téléphonie mobile s’entendent pour appliquer les mêmes mesures discriminatoires dans leurs offres de soi-disant “Internet mobile”. Ces opérateurs n’offrent tout simplement pas accès à cette plateforme de communication universelle que nous appelons “Internet”. En fermant les yeux sur de telles pratiques, la Commission couvre ces comportements anti-concurrentiels qui entravent l’innovation et violent notre liberté de communication. » conclut Jérémie Zimmermann, porte-parle de l’organisation.

Pour plus d’information, voir la réponse de La Quadrature à la consultation européenne sur la neutralité du Net.

References

References
1 Durant la révision des directives du « paquet telecom », les institutions européennes ont soigneusement évité de résoudre les sérieuses entraves à la neutralité du Net pratiquées par les opérateurs à des fins commerciales. Fin 2009, à l’issue de la procédure législative, la Commission européenne avait néanmoins promis au Parlement européen un rapport sur la question avant la fin 2010.
2 Par exemple, il justifie le blocage du trafic des réseaux peer-to-peer comme étant « parfaitement légitime » pour gérer l’encombrement du réseau, ignorant totalement que l’architecture pair à pair a été un facteur clé de l’immense croissance d’Internet et de la variété de ses applications. Si la politique de Neelie Kroes avait été implémentée dans les années 80, Internet tel qu’on le connait n’existerait tout simplement pas.
3 Le rapport appelle à une protection législative de la neutralité du Net, qui est définie comme « la capacité pour les utilisateurs d’internet d’envoyer et de recevoir le contenu de leur choix, d’utiliser les services ou de faire fonctionner les applications de leur choix, de connecter le matériel et d’utiliser les programmes de leur choix, dès lors qu’ils ne nuisent pas au réseau, avec une qualité de service transparente, suffisante et non discriminatoire (…) ». À la différence de la Commission, les députés français font une interprétation stricte du principe de non-discrimination, en affirmant que tous les types de trafic doivent être traités de la même manière, et rejetant ainsi la différentiation de trafic (qui permet de traiter différemment les fux selon le type de trafic). Voir p. 71 du rapport.