Les parlementaires vont-ils consentir à la démocrature ?

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Après un certain retard à l’allumage, les réactions à l’inclusion dans l’article 13 de la Loi de programmation militaire de mesures rendant possible une surveillance généralisée des informations et communications sur Internet donne lieu en ce moment à de nombreuses prises de position. Gilles Babinet, nommé en juin 2012 ambassadeur français du numérique auprès de Nellie Kroes, commissaire européenne en charge du numérique vient de déclarer que : « Cette loi, c’est le plus grand coup porté au fonctionnement de la démocratie depuis les lois d’exceptions pendant la guerre d’Algérie. ».

Cette déclaration vient après la prise de position de l’ASIC (qui quoi qu’on pense des actions de certains de ses membres a eu le mérite de tirer le signal d’alarme), celle de La Quadrature du Net et celle du Conseil National du Numérique qui a adopté en urgence le 6 décembre 2013 un avis demandant la suppression de l’article 13.

Les articles de presse déferlent pour souligner l’incroyable atteinte aux libertés et aux droits que constituerait l’adoption de cet article. On est très loin d’avoir vu la fin des prises de position hostiles. Mais le temps presse, et il presse parce qu’un gouvernement cynique essaye d’utiliser l’urgence de la loi de programmation militaire pour commettre un méfait contre la démocratie. Si le Sénat adoptait mardi 10 décembre le texte conforme à celui voté le 4 décembre à l’Assemblée nationale, celle-ci n’aurait plus comme possibilité – sauf amendement du gouvernement pour supprimer lui-même l’article 13 – que de rejeter la loi dans son ensemble pour sauver les droits fondamentaux des citoyens (avec toutes les conséquences que ce rejet aurait). Correction : si le Sénat adoptait mardi 10 décembre le texte conforme à celui voté le 4 décembre par les députés, celui-ci ne reviendrait pas du tout à l’Assemblée nationale. Il est donc indispensable qu’au moins un amendement soit adopté par le Sénat.

Alors il faut le dire tout de suite : chaque parlementaire qui participerait à l’adoption d’une loi incluant l’article 13 et donc de cette incroyable agression contre les droits fondamentaux doit en assumer personnellement le choix. Il n’y a pas de discipline de groupe ou d’affiliation politique qui dispense d’exprimer dans son vote ce que la conscience dicte à chacun.

Résumé des dispositions de l’article 13

  • L’article pérennise un dispositif provisoire adopté dans la loi anti-terroriste de 2006, deux fois prorogé en 2008 et 2012 restant valable jusqu’au 31/12/2015 (donc il n’y avait pas d’urgence sécuritaire à légiférer). Cette pérennisation s’accompagne d’un considérable élargissement.
  • Autorisation de capture en temps réel d’informations et de documents (« peuvent être recueillis sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel par les opérateurs aux agents mentionnés ») et non plus seulement de données de connexion.
  • Élargissement des services objet de réquisitions aux hébergeurs (tous ceux couverts par la définition de la LCEN et non plus aux seuls services d’accès.
  • Élargissement des données pouvant être capturées ou requises aux « informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services ».
  • Élargissement des administrations peuvent requérir au-delà de la défense et la sécurité intérieure, par exemple au ministère de l’économie et du budget.
  • Élargissement des finalités par exemple « au potentiel scientifique et économique de la France »
  • Et on en passe : non seulement le judiciaire est totalement contourné, mais le seul dispositif de contrôle a posteriori (Commission de contrôle des écoutes et interceptions) ne pourra émettre qu’une « recommandation » au premier ministre (secrète) et sans aucune garantie d’effet.

Billet initialement publié sur le blog de Philippe Aigrain, membre fondateur de La Quadrature du Net.