[FranceInter] « Bug » Facebook, info ou intox ?

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Interview de Benjamin Sonntag, cofondateur de la Quadrature du Net, à propos du « bug » Facebook, sur France Inter le 26 septembre 2012 à 7h50.



Patrick Cohen : Pascale Clark, votre invité est le cofondateur de La Quadrature du Net.

Pascale Clark : Bonjour Benjamin Sonntag.

Benjamin Sonntag : Bonjour Pascale Clark.

PC : Que s’est-il vraiment passé sur Facebook ? Des gens qui n’avaient pas fait le ménage, c’est ça ?

BS : Il ne s’est rien passé en fait.

PC : Il s’est rien passé ??

BS : Ils ont juste rendu, en août dernier, plus facile d’accès à ce que vous postiez de manière inconsciente en 2007, 2008, 2009 sur votre mur et sur celui de vos amis.

PC : C’est-à-dire Facebook a changé sa présentation…

BS : Voilà.

PC : … son interface, pour ceux à qui ça parle, Facebook est passé en timeline, mais fallait un petit peu nettoyer et ceux qui ont cru à un bug ne l’avaient pas fait. C’est ça l’explication ?

BS : Fallait même pas nettoyer, c’est juste que ça a toujours… Ce que vous aviez posté sur votre mur Facebook ou sur celui de vos amis, ce que vous aviez échangé comme information de manière publique, ça l’est resté. C’est juste plus facile d’y accéder maintenant, on y arrive plus vite et donc forcément, si vous regardez ce que vous avez écrit y’a trois-quatre ans entre amis autour d’une bière ou avant une soirée, ça n’a aucun intérêt et donc…

PC : Mais pourquoi ces vieux messages ont-ils été régurgités d’un seul coup ?

BS : Ils ont pas été régurgités d’un seul coup, c’est juste ils étaient toujours là, il fallait juste aller les chercher, maintenant c’est plus simple d’aller les chercher. Les internautes sont en train d’apprendre, à leurs dépens a priori, que ce qu’ils postent sur Internet, ça reste.

PC : Ouai, c’est basique. Y’a quand même eu une certaine hallucination collective, certains n’en démordent pas.

BS : Ah mais ils peuvent ne pas en démordre. Vous savez l’informatique, c’est très formel. Quand on poste quelque chose c’est là, après si on y revient c’est toujours là et tant qu’on dit pas « j’veux l’effacer » ou « j’veux que ce soit privé » ou qu’on l’efface pas, ça restera là. Donc voilà, il faut que les internautes comprennent qu’ils ne peuvent pas avoir confiance dans une société, Facebook en l’occurence, dont le modèle est de faire de l’argent sur nos données personnelles. C’est pas Facebook qui va défendre notre vie privée ou nos libertés fondamentales à notre place.

PC : C’est même l’inverse : Facebook modifie régulièrement ses critères de confidentialité et tend vers le tout public, nan ? C’est ça l’idée ?

BS : Plus ou moins, on peut toujours faire des messages privés, des choses comme ça, mais pour La Quadrature du Net, et pour moi en l’occurence, l’important c’est pas tant ce qu’on publie de public sur Facebook, à la rigueur c’est public — faut juste que les citoyens, les internautes, prennent conscience que c’est public — que le fait que Facebook dispose de toutes les données de tous les internautes qui sont postées depuis toujours sur Facebook et que personne…

PC : Comment sont exploitées ces données ?

BS : Justement, personne n’a une idée de ce que signifie d’avoir ces montagnes de données à disposition, et personne n’a idée de ce que ces données permettent de faire quand elles sont aux mains d’acteurs économiques comme Facebook ou d’acteurs politiques, par exemple.

PC : Y’a quelques pistes commerciales quand même ?

BS : Ah c’est plus que des pistes commerciales…

PC : Le fichage ?

BS : Le fichage est certain. Y’a même l’Electronic Frontier Foudation qui est une grosse ONG US et qui a soulevé le fait que Facebook avait un partenariat avec Datalogix, une société américaine de marketing qui gère toutes les cartes de fidélité que vous avez dans ses boutiques, et donc ils font le lien entre votre profil Facebook, les pubs qui vous ont été montrées et ce que vous avez acheté dans les magasins pour voir si la pub a marché, voyez ? Rien que ça c’est un petit peu effrayant, mais on ne parle que de choses… finalement on ne parle que de marketing, mais on n’a pas idée de quel autre usage peut être fait de ces données, puisque Facebook ne nous promet rien en la matière.

PC : Donc l’idée c’est que Facebook est un site gratuit, mais que le prix à payer pour l’utilisateur, eh bien, c’est sa vie ?

BS : Oui… c’est ce qu’on dit souvent.

PC : C’est son intimité.

BS : Exactement, c’est ce qu’on dit souvent. Quand vous utilisez un service gratuit sur Internet, le produit qui est vendu en fait c’est vous. Donc oui, c’est exactement ça.

PC : Donc on nourrit la bête et après faut pas s’étonner de voir des traces de la bête.

BS : Tout à fait. On essaye de passer le message aux citoyens depuis des années.

PC : Plus généralement, la notion de données privées sur Internet, c’est un leurre total et même une certaine naïveté, non ?

BS : Plus ou moins, plus ou moins. Quand vous échangez des mails entre amis, par exemple, c’est un protocole qui est légalement reconnu comme étant de la correspondance privée.

PC : Vous en êtes sûrs ?

BS : Ah oui c’est sûr ! Faut déjà aller loin et si vraiment vous avez besoin d’intimité, y’a des logiciels comme PGP, qui permettent d’échanger de manière chiffrée tous vos mails avec vos correspondants et là pour le coup personne au monde, autre que le destinataire, ne peut accéder à vos données, sauf des cas très très extrêmes.

PC : Alors, on a vu hier, une très prompte réaction ministérielle…

BS : Comme d’habitude.

PC : Comme d’habitude, mais peut-être un peu plus que d’habitude même… Quand la ministre de l’Économie numérique, Fleur Pellerin, recommande de porter plainte le cas échéant contre Facebook, c’est quoi, c’est de l’agitation, ou ?

BS : Oui, vous savez, on est habitué… Le ministre de l’Internet, que ce soit Fleur Pellerin ou Nathalie Kosciusko-Morizet, n’a jamais eu de budget, n’a jamais vraiment eu de projet de loi, donc à partir de là, les citoyens et les internautes qu’on essaye de défendre et de défendre les libertés sur Internet ne sont pas dupes, ils ont bien compris que ce ministère ne servait à rien, il servait juste à donner l’impression, vous savez, ces petites marionnettes qu’on agite, donc bah là la réaction immédiate et extrêmement rapide de Fleur Pellerin, finalement pour nous c’est une façon de faire de la présence, mais à part ça, voilà. C’est un ministre, c’est l’exécutif, elle est censée faire quelque chose, pas…

PC : Alors, rapidité remarquée hier aussi de la CNIL, l’autorité chargée de la protection des données personnelles.

BS : Impressionnant.

PC : Elle demande des investigations supplémentaires on ne trouvera rien, c’est pareil.

BS : Déjà, je vous rappelle que Facebook est une société américaine, donc ils diront ce qu’ils ont enive de dire, y’ a personne qui peut aller voir leurs serveurs vu qu’ils ne sont pas en France.

PC : On ne peut les obliger à rien ?

BS : On pourrait les obliger en termes de droit français, sinon on peut essayer de faire des choses, ils peuvent essayer. C’est de la négociation qui a lieu de manière un peu plus sportive que si c’était une société française, basée en France, avec des serveurs en France. Mais après ça reste Internet. Nous, ce qui nous étonne à La Quadrature, c’est plutôt l’extrême rapidité de la réaction de la CNIL, qui est une autorité qui a quand même des pouvoirs assez étendus, mais qui a un budget assez ridicule et donc aujourd’hui quand on voit le problème que représente la défense des données personnelles, de la vie privée, avec Internet, on s’étonne qu’ils ne réagissent pas plus rapidement sur d’autres sujets en temps normal.

PC : Autre chose rapidement pour terminer : La Quadrature du Net comme l’association Que Choisir, a décidé de boycotter la mission Lescure sur la culture et Internet, pourquoi ?

BS : Parce que c’est le troisième volet de « on essaye de défendre la culture en défendant plutôt les ayants droit de la culture et pas du tout les artistes ». On a eu la mission Olivennes qui était le patron de la FNAC, on a eu la mission Zelnik qui était le patron d’un label, aujourd’hui on a la mission Lescure qui est patron de sociétés, enfin qui siège à Havas et à Lagardère, qui siège aussi dans des sociétés qui défendent la protection des contenus numériques contre les usages et contre le partage. Bon bah voilà, y’a un conflit d’intérêts évident. On peut pas jouer à cette mascarade.

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