Fleur Pellerin cautionne le contournement du législateur voulu par la Hadopi

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Paris, 24 septembre 2014 — La nouvelle ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a confirmé dans une interview donnée au Monde que les missions de la Hadopi ne seraient pas tranférées au CSA. Au-delà du maintien de la riposte graduée, la ministre cautionne également l’initiative lancée la semaine dernière par la Hadopi, visant à lutter contre la « contrefaçon massivement commerciale » par le biais de mesures extra-législatives reposant sur un contournement systématique du juge. Outre le caractère non démocratique de la démarche, ce dispositif réintroduit certains des aspects les plus contestables de la loi SOPA et de l’accord ACTA en termes de respect des libertés fondamentales et confirme l’enfermement du gouvernement dans une guerre au partage stérile, qui ne peut conduire qu’à l’escalade répressive.


Fleur Pellerin, Ministre de la Culture

Contrairement à ce que préconisait le rapport Lescure, Fleur Pellerin annonce sa volonté de ne pas transférer les compétences de la Hadopi au CSA, comme l’avait fait avant elle sa prédécesseure, Aurélie Filippetti. Elle réaffirme son attachement au dispositif de la riposte graduée, jugée « pédagogique », alors qu’il cible des pratiques légitimes de partage non marchand d’œuvres entre individus via des procédés décentralisés.

Mais au-delà, en déclarant que la priorité réside à présent dans la « lutte contre la contrefaçon commerciale », la ministre abonde dans le sens de la Hadopi qui, par une délibération en date du 12 septembre dernier, a décidé de son propre chef de s’engager dans un programme de lutte contre les sites de streaming et de direct download, actuellement en dehors de son champ d’action, sans attendre de modification de la loi.

Suivant les recommandations du rapport Imbert-Quarreta, ce dispositif prévoit de dresser une liste noire des sites « massivement contrefaisants », de faire pression sur les intermédiaires de paiement et de publicité en ligne afin qu’ils agissent contre ces sites, et d’imposer aux plateformes des procédés automatiques de filtrage des contenus en vue de mettre un place un « Notice and Stay Down ».

Non content de contourner à chacune de ces étapes le juge judiciaire, ce programme implique la remise en cause de principes essentiels concernant la responsabilité des intermédiaires techniques, dont l’examen devrait passer par un débat démocratique transparent au Parlement. À la place, la Hadopi vise à instaurer un système « d’auto-régulation » des plateformes sur une base purement contractuelle, qui conduira ces intermédiaires à se transformer en une police privée du droit d’auteur.

Fleur Pellerin appelle à un « renforcement des moyens juridiques et policiers contre les plates-formes de piratage, en partenariat avec les institutions européennes et judiciaires », mais la Hadopi vise à contourner systématiquement le juge judiciaire. Le gouvernement trouvera là de surcroît un moyen commode d’éviter des débats houleux au Parlement, comme l’ont montré les précédents du rejet de SOPA et d’ACTA par la mobilisation citoyenne et la volonté des représentants élus.

La Quadrature du Net n’a jamais soutenu les plateformes centralisées de streaming ou de direct download, se livrant à de la contrefaçon commerciale. Mais le meilleur moyen de lutter contre ces formes d’échanges consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus, afin de favoriser un retour vers le P2P et BitTorrent. En ciblant uniquement ces usages décentralisés, la Hadopi a elle-même causé un déplacement des usages vers le streaming et le direct download, en dehors de son radar. L’aveuglement du dispositif répressif est donc directement responsable de l’évolution de la situation et seule une sortie de la spirale de cette guerre au partage peut apporter une solution, sans entamer davantage les libertés fondamentales.

« Les parlementaires ne devraient pas accepter que de telles mesures soient mises en place au niveau de la Hadopi par de simples ententes contractuelles conclues entre les titulaires de droits et les plateformes. Les citoyens doivent rester vigilants face à cette nouvelle tactique, qui peut s’avérer plus difficile à contrer qu’une loi ou un traité faisant l’objet d’un vote démocratique », déclare Lionel Maurel, membre du Collège d’Orientation Stratégique de La Quadrature du Net.