[Le Quotidien de la Réunion] On n’est pas dans la science-fiction

Posted on


Une conférence audio était organisée hier à Saint-Joseph, à l’occasion des rencontres mondiales du logiciel libre, avec Jérémie Zimmermann, fondateur de La Quadrature du Net, actuellement en Argentine. Trois questions à un ardent défenseur des libertés sur internet.

– J’enregistre cet entretien avec mon iPhone. Est-ce grave pour moi ?

– Oui, c’est grave parce que la société Apple est une extension des services de renseignement américains. C’est grave parce que vous êtes journaliste et que la protection des sources est essentielle pour une information libre. Si les sources ne se sentent pas en confiance lorsqu’elles parlent, elles se tarissent. Et lorsqu’elles se tarissent, le journaliste se retrouve avec rien d’autre que la bouillie ambiante qu’il suffit de régurgiter.

Non seulement avec votre iPhone vous n’êtes pas en mesure de garantir la protection des sources, mais vous n’êtes même pas en mesure de garantir qu’il est éteint lorsque vous pensez qu’il l’est. Un logiciel peut intercepter l’appui sur le bouton « power », vous afficher l’animation d’un iPhone qui s’éteint pour vous faire croire qu’il l’est – c’est très facile à faire – et déclencher le micro d’enregistrement.

On a vu avec WikiLeaks la liste de centaines d’entreprises qui travaillent autour du gouvernement américain pour lui fournir les outils de surveillance. Edward Snowden faisait partie de l’un de ces milliers de contractants dans lesquels un million d’individus ont accès à ces documents top secret. Parmi ces entreprises, certaines développent des logiciels espions, chevaux de Troie, taillés sur mesure pour s’introduire sur tous les systèmes informatiques et en extraire des informations. On n’est pas dans la science-fiction. Ce sont des technologies qui existent et qui sont utilisées chaque jour par les gouvernements. Alors à la lueur de ces révélations, vous les journalistes devez repenser les règles de votre métier, vos valeurs éthiques.

– Edward Snowden, Julian Assange, Chelsea Bradley Manning… Ces révélations en série signifient-elles que les choses sont en train de changer ?

– Les choses sont toujours en train de changer et heureusement. Changent-elles pour le meilleur ou pour le pire ? Ça, je ne saurais pas encore vous le dire. Pour le meilleur on a une grande attention portée sur ces sujets-là. Reste à savoir si cette attention va se maintenir. Désolé d’en venir encore à votre profession mais les journalistes vont-ils continuer à faire leur boulot ?

C’est Glenn Greenwald (The Guardian) et Lora Poitras (The New York Times) qui ont orchestré les révélations (d’Edward Snowden). Ils ont fait un travail admirable. Le premier est avocat, la seconde est documentaliste et ils sont en train de donner des leçons de journalisme au monde entier. D’autres journalistes vont-ils aller chercher derrière les communiqués de Google qui disent qu’il n’y a pas d’accès direct à ses serveurs par la NSA ? Vont-ils exposer ces pratiques aux yeux du monde ? Beaucoup de choses se sont passées mais je suis convaincu qu’il en faut beaucoup plus pour que l’on puisse changer les choses sur le terrain politique, technologique et sur le terrain de nos usages. Je pense qu’Edward Snowden a plus d’un tour dans son sac et plus d’un document sur sa clé USB. J’espère que lui comme Greenwald et Poitras seront en sécurité. Qu’ils resteront vivants. Qu’ils continueront de diffuser de l’information qui permettra à tous de réaliser à quel point il est inévitable de regarder ces questions en face si nous voulons rester libres.

– À l’échelle française, quels sont les projets de loi qui menacent les libertés et sur lesquels les journalistes devraient donc se pencher ?

– Je vais commencer par l’échelle européenne. Il y a le règlement sur la protection des données personnelles, absolument crucial, qui devait passer à toute vitesse avant l’été et dont les votes ont été repoussés. On va essayer de nous imposer une vision tuée dans l’œuf de la neutralité du Net, c’est-à-dire de la non-discrimination de nos communications, pour en réalité passer un texte qui permettra aux opérateurs de s’entendre commercialement pour prioriser les communications en ligne.

C’est un enjeu absolument fondamental parce que sans une infrastructure de communications libres, nous n’aurons aucune chance de maintenir nos libertés en ligne. En France, on voit se profiler une grande loi sur la liberté d’expression sur internet. Peut-être qu’on voit le mal partout, mais on n’imagine pas un texte pour protéger notre liberté d’expression mais plutôt pour la réguler, l’encadrer, la contraindre.

Entretien Thomas ARCENS.

Jérémie Zimmermann, depuis sa chambre d’hôtel à Buenos Aires, a donné une conférence audio pour les rencontres mondiales du logiciel libre à Saint-Joseph. (Photo Yann Huet)

https://www.laquadrature.net/files/rp/Le%20quotidien%20de%20la%20r%C3%A9union%20-%2013%2008%2026%20-%20jz.png