Riposte graduée européenne et désinformation

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Le 2 et 3 juin, à la demande du lobby de la musique et du cinéma, la commission Culture du Parlement Européen a adopté la plus grande partie des amendements de ses rapporteurs sur le projet de réforme dit du Paquet Télécom.

Voir :

http://www.guy-bono.fr/article/articleview/7992/1/1378/

Ce faisant, cette commission, saisie pour avis, propose d’introduire dans deux directives européennes le mécanisme dit de riposte graduée, mais aussi de nier le droit du public à diffuser ses propres oeuvres sur internet.

L’opposition à ces amendements qui n’ont rien à faire dans le paquet Télécom réunissait des eurodéputés PSE, ALDE et Verts, de nationalités diverses, dont la présidente de la Commission Culture. Cela n’a pas suffit … peut-être car l’heure du vote sur une partie des amendements a été avancée d’1/2h sans que les opposants ne soient prévenus ?

Ce vote ne signifie cependant nullement que la riposte graduée est désormais acceptée par « les eurodéputés », comme l’a écrit une journaliste dans l’édition du Monde datée du 5 juin.

Il s’agit d’un vote d’une commission pour avis, traditionnellement favorable à l’industrie du contenu, obtenu dans des conditions bien particulières. À ce stade, ces propositions peuvent être retenues ou pas par les rapporteurs des commissions saisies au fond. Si elles le sont, elles seront alors présentées au vote en séance pléinière le 7 juillet à l’ensemble des eurodéputés. Puis en septembre, le Paquet Télécom sera présenté en séance plénière en première lecture, après que la Commission européenne et le Conseil ait donné leur avis.

La Quadrature du Net appelle cependant les citoyens européens à alerter dès maintenant les eurodéputés pour qu’ils se préparent à voter contre ces dispositions le 7 juillet, si les amendements de la Commission Culture sont retenus par les rapporteurs des commissions saisies au fond – Catherine Trautman (socialiste) et Malcom Harbour (PPE).

Il faut agir maintenant pour que les enjeux comme la neutralité technologique, la concurrence sur le marché des télécom, le renforcement de la protection des consommateurs ou la sécurité des réseaux, qui sont l’objet du Paquet Télécom contrairement au droit d’auteur, soient débattus.

« Le Paquet Télécom modifie 5 directives sur les communications électroniques et propose un réglement au travers de trois directives-cadres. C’est une proposition législative complexe qui aborde déjà un grand nombre de sujets allant de la neutralité du net à la sécurité des réseaux. Inutile d’en rajouter avec des amendements hors-sujet adoptés à la hussarde en commission pour avis. Sinon la plus grande confusion va régner. La désinformation pratiquée par l’édition papier du Monde l’illustre. Je me demande qui a dit à leur journaliste que le vote d’une commission pour avis était comparable à un vote en plénière. » commente Christophe Espern, co-fondateur et porte-parole de la Quadrature du Net.

La Quadrature du Net suivra attentivement les choix de Madame Trautmman et M. Harbour et invite tous les citoyens désireux d’agir ultérieurement à s’abonner à sa liste d’information et ses flux RSS pour se tenir au courant. La Quadrature du Net demande par ailleurs aux journalistes de s’assurer que ce qu’ils écrivent correspond à la réalité du processus parlementaire en cours.

À défaut, il prennent le risque de désinformer massivement comme le journal Le Monde l’a fait, en laissant croire que le Parlement Européen est revenu sur son vote en séance plénière du 11 avril dernier, condamnant la riposte graduée. Ce n’est pas le cas.

Pourquoi les propositions votée en commission culture ne doivent pas être retenues ?

Sur la forme, la riposte graduée n’a rien à faire dans le Paquet Télécom, qui comme l’indique la proposition de la commission dès les premiers paragraphes, vise à « rehausser la protection de la vie privée et des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques, notamment en renforçant les dispositions liées
à la sécurité et en améliorant les mécanismes coercitifs [visant les FAI] »
.

Par ailleurs, cette proposition de riposte graduée n’a nullement été débattue lors de la préparation du paquet Télécom entre les acteurs concernés et la commission. Elle n’est le fruit d’aucune concertation. Les amendements ont été rédigés par le lobby du cinéma français comme en témoigne une note que la Quadrature du Net s’est procuré. Les associations de consommateurs et de défense des droits des internautes, tout comme l’association des fournisseurs d’accès européens y sont opposés.

Dans ce cadre, abaisser la protection du droit à la protection des données personnelles au nom du droit d’auteur serait éminemment paradoxal, alors même que la question de la réflexion autour de la réforme de l’acquis communautaire en matière de droit d’auteur ne fait que commencer et que seule une solution acceptée par un grand nombre d’acteurs permettera d’adapter durablement ce droit à l’ère du numérique.

La présidente de la commission Culture, opposée à ces amendements ne s’y est pas trompée déclarant : « essayer de résoudre le problème [du « piratage »] dans une Directive qui fait partie d’un paquet législatif qui n’a rien à voir avec la protection de la propriété intellectuelle – et en plus en mettant les consommateurs à la place de l’accusé ne peut pas être la solution ! »

Sur le fond, comme le résume l’eurodéputé Guy Bono, la riposte graduée est « une attaque disproportionnée » sur les droits fondamentaux des citoyens européens. Comme l’ont souligné à plusieurs reprises des magistrats européens, les moyens utilisables pour lutter contre la pedopornographie ou le terrorisme ne peuvent être utilisées pour lutter contre l’échange sans but lucratif d’oeuvres culturelles entre particuliers. On ne surveille pas des millions de personnes partageant de la musique comme on surveille des filières criminelles.

De plus, la confiance dans l’économie numérique ne passe sûrement pas par l’instauration de Big Brother. Comme l’a résumé il y a quelques mois dans son rapport, la Commission pour la Libération de la Croissance Française, présidée par Jacques Attali, à propos de la riposte graduée :

« La mise en place de mécanismes de contrôle des usages individuels (filtrages généraux, dispositifs de surveillance des échanges) constituerait un frein majeur à la croissance dans ce secteur clé [le numérique]. Même sous le contrôle d’une autorité indépendante ou d’un juge, ces mécanismes introduiraient une surveillance de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, tout à fait contraire aux exigences
de la création et à la nature réelle de l’économie numérique. »

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